Les expéditions successives de
Gama, de Cabral et de da Nova avaient prouvé jusqu'à l'évidence qu'il ne
fallait pas compter sur un commerce suivi, ni sur un échange continu de
marchandises avec les populations de la côte de Malabar, qui s'étaient à chaque
fois liguées contre les Portugais, tant qu'on respecterait leur indépendance et
leur liberté. Ce commerce, qu'elles se refusaient si énergiquement à faire avec
les Européens, il fallait le leur imposer, et. pour cela, fonder des
établissements militaires permanents, capables de tenir en respect les
mécontents, et même, au besoin, s'emparer du pays.
Mais à qui confier une mission si
importante? Le choix ne pouvait être douteux, et Vasco da Gama fut, à
l'unanimité, désigné pour prendre le commandement du formidable armement qu'on
préparait.
Sous son commandement immédiat,
Vasco avait dix bâtiments; son second frère ou cousin, Étienne da Gama, Vincent Sodres en avaient chacun cinq sous leurs ordres, mais ils devaient reconnaître
Vasco da Gama pour chef suprême.
Les
cérémonies qui précédèrent le départ de Lisbonne furent d'un caractère particulièrement
grave et solennel. Le roi Emmanuel, suivi de toute sa cour, se rendit à la
cathédrale au milieu d'une foule immense, appela les bénédictions du Ciel sur
cette expédition à la fois religieuse et militaire, et l'archevêque bénit lui-même
l'étendard qui fut remis à Gama. Le premier soin de l'amiral fut de se rendre à Sofala et à
Mozambique, villes dont il avait eu à se plaindre lors de son premier voyage.
Désireux de se créer des ports de relâche et de ravitaillement, il y installa
des comptoirs et y jeta les premiers fondements de forteresses.
Il tira aussi du cheikh de Quiloa
un important tribut; puis, il fit voile pour la côte de l'Hindoustan.
Le Meri
Il était à la hauteur de Cananor,
lorsqu'il aperçut, le 3 octobre 1502, un bâtiment d'assez fort tonnage qui lui
parut richement chargé. C'était le Merii, qui ramenait de la Mecque quantité de
pèlerins venus de toutes les contrées de l'Asie. Gama l'attaqua sans
provocation, s'en empara et mit à mort plus de trois cents hommes qui le
montaient. Vingt enfants seulement furent sauvés et amenés à Lisbonne, où,
baptisés, ils prirent du service dans les armées du Portugal. Cet épouvantable
massacre, d'ailleurs bien dans les idées de l'époque, devait, suivant Gama,
jeter la terreur dans l'esprit des Hindous: il n'en fut rien. Cette odieuse cruauté,
parfaitement inutile, a imprimé une tache sanglante sur la renommée jusque-là
si pure du grand amiral.
Dès son arrivée à Cananor, Gama
obtint du radjah une entrevue, dans laquelle il reçut l'autorisation d'établir un
comptoir et de construire un fort. En même temps fut conclu un traité
d'alliance offensive et défensive. Après avoir mis à l'oeuvre les ouvriers, et
installé son facteur, l'amiral mit à la voile pour Calicut, où il entendait
demander compte au zamorin de sa déloyauté ainsi que du massacre des Portugais
surpris dans la factorie.
Vasco de Gama |
Le délai accordé venait à peine
d'expirer que les corps de cinquante prisonniers se balançaient aux vergues des
navires, où ils restèrent exposés à la vue de la ville pendant toute la journée.
Le soir venu, les pieds et les mains de ces victimes expiatoires furent coupés
et portés à terre avec une lettre de l'amiral annonçant que sa vengeance ne se
bornerait pas à cette exécution.
En effet, à la faveur de la nuit,
les bâtiments s'embossèrent à courte distance de la ville et la canonnèrent
pendant trois jours. On ne saura jamais quel fut le nombre des victimes, mais
il dut être considérable. Sans compter ceux qui tombèrent sous les décharges de
l'artillerie et de la mousqueterie, un grand nombre d'Hindous furent ensevelis
sous les ruines des édifices ou brûlés dans
l'incendie qui détruisit une
partie de Calicut. Un des premiers, le radjah avait fui sa capitale, et bien
lui en prit, car son palais fut au nombre des édifices démolis.
Enfin, satisfait d'avoir
transformé en un amas de décombres cette cité naguère si riche et si populeuse,
jugeant sa vengeance assouvie et pensant que la leçon serait profitable, après avoir
laissé devant le port pour en continuer le blocus Vincent Sodres avec quelques
navires, Gama reprit la route de Cochin.
Pedro Alvares Cabral |
Triumpara, le souverain de cette
ville, lui apprit qu'il avait été vivement sollicité par le zamorin de profiter
de la confiance que les Portugais avaient en lui pour s'emparer d'eux par
surprise, et l'amiral, afin de récompenser cette droiture et cette loyauté qui
exposaient son allié à l'inimitié du radjah de Calicut, lui donna, en partant
pour Lisbonne avec un riche chargement, quelques bâtiments qui devaient lui
permettre d'attendre en sûreté l'arrivée d'une nouvelle escadre.
Le seul incident qui marqua le
retour de Gama en Europe, où il arriva le 20 décembre 1503, avait été la
défaite d'une nouvelle flotte malabare.
Cette fois encore, les services
éminents que ce grand homme venait de rendre à sa patrie furent méconnus, ou
plutôt ne furent pas appréciés comme ils le méritaient. Lui, qui venait de
jeter les bases de l'empire colonial portugais dans l'Inde, il eut besoin des
sollicitations du duc de Bragance pour obtenir le titre de comte de Vidigueyra,
et resta vingt et un ans sans être employé. Exemple d'ingratitude trop fréquent, mais
qu'il est toujours à propos de stigmatiser.
A peine Vasco da Gama avait-il
repris la route d'Europe, que le zamorin, toujours poussé par les musulmans,
qui voyaient leur puissance commerciale de plus en plus compromise, assembla
ses alliés à Pani, dans le but d'attaquer le roi de Cochin et de le punir des
secours et des avis qu'il avait donnés aux Portugais. Dans cette circonstance,
la fidélité du malheureux radjah fut mise à une dure
épreuve. Assiégé dans sa capitale
par des forces imposantes, il se vit tout à coup privé du secours de ceux pour
lesquels il venait cependant de se lancer dans cette aventure.
Sodres et quelques-uns de ses
capitaines, désertant le poste où l'honneur et la reconnaissance leur
commandaient de mourir, si besoin était, abandonnèrent Triumpara pour aller
croiser dans les parages d'Ormuz et à l'entrée de la mer Rouge, où ils
comptaient que le pèlerinage annuel de la Mecque ferait tomber entre leurs
mains quelque riche butin. En vain le facteur portugais leur reprocha-
t-il l'indignité de leur conduite,
ils partirent à la hâte pour éviter cette censure gênante.
Bientôt le roi de Cochin, trahi
par certains de ses naïres qu'avait gagnés le zamorin, vit sa capitale emportée
d'assaut et dut se réfugier, avec les Portugais qui lui étaient restés fidèles,
sur un rocher inaccessible de la petite île de Viopia.
Lorsqu'il fut réduit aux dernières
extrémités, le zamorin lui dépêcha un émissaire, qui lui promit, au nom de son
maître, l'oubli et le pardon s'il voulait livrer les Portugais. Mais Triumpara,
dont on ne saurait assez exalter la fidélité, répondit « que le zamorin pouvait
user des droits de sa victoire; qu'il n'ignorait pas de quels périls il était
menacé, mais qu'il n'était au pouvoir d'aucun homme de le rendre traître et
parjure. » On ne pouvait plus noblement répondre à l'abandon et à la lâcheté de
Sodres.
Celui-ci arrivait au détroit de
Bab-el-Mandeb, lorsque, dans une épouvantable tempête, il périt avec son frère,
dont le navire fut brisé sur des écueils, et les survivants, voyant dans cet
événement une punition providentielle de leur conduite, reprirent, à force de
voiles, la route de Cochin. Retenus par les vents aux îles Laquedives, ils se
virent rejoints par une nouvelle escadre portugaise, sous le commandement de
Francisco d'Albuquerque.
Celui-ci avait quitté Lisbonne presque en même temps
que son cousin Alfonso, le plus grand capitaine de l'époque, qui, sous le titre
de capitam môr, était parti de Belem au commencement d'avril 1503.
L'arrivée de Francisco
d'Albuquerque rétablit les affaires des Portugais, si gravement compromises par
la faute criminelle de Sodres, et sauva du même coup leur seul et fidèle allié
Triumpara. Les assiégeants s'enfuirent, sans même essayer de résistance, à la
vue de l'escadre des Portugais, et ceux-ci, appuyés par les troupes du roi de
Cochin, ravagèrent la côte de Malabar. A la suite de ces événements, Triumpara
permit à ses alliés de construire une seconde forteresse dans ses États et les autorisa
à augmenter le nombre et l'importance de leurs comptoirs. C'est à ce moment
qu'arriva Alphonse d'Albuquerque, celui qui devait être le véritable créateur
de la puissance portugaise aux Indes. Dias, Cabral, Gama avaient préparé les
voies, mais Albuquerque fut le grand capitaine aux vastes conceptions, qui sut
déterminer quelles étaient les villes principales dont il fallait s'emparer
pour asseoir sur des bases solides et définitives la domination portugaise.
Aussi, tout ce qui a trait à
l'histoire de ce grand génie colonisateur est d'un intérêt de premier ordre, et
nous dirons quelques mots de sa famille, de son éducation, de ses premiers
exploits.
Navire Portugais do fin do séc. XV (Alfredo Roque Gameiro) |
Caravelle Portugaise do séc. XV (Alfredo Roque Gameiro) |
Vasco de Gama et le çamorim de Calicut Maurício José do Carmo |
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