Invincible Armada (port de Lisbonne 1588) |
Le gouvernement d'un prince étranger fut des plus désastreux pour le Portugal. L'anéantissement de l'Invincible Armada eut son contrecoup dans toute la Péninsule. Privée de sa marine, l'Espagne dut abandonner la défense des colonies portugaises.
Tandis que les Anglais pillaient le Brésil et les Açores et jusqu'à l'Algarve, les Hollandais s'établissaient à Java, Ce fut bien pis encore sous Philippe III.
Ce prince ayant interdit aux Hollandais de faire avec le Portugal le commerce des épices, ils allèrent directement aux Indes pour en charger leurs vaisseaux (1595).Ils ne se contentèrent pas d'enlever aux Portugais le commerce des produits orientaux; ils s'emparèrent des Moluques et de Célèbes, puis ce fut ensuite le tour de l'Afrique et de l'Amérique. Les Portugais perdirent ainsi une à une les colonies si vaillamment conquises par les Vasco de Gama et les Cabral. La décadence fut complète sous Philippe IV. Ceylan en 1632 et presque tout le Brésil en 1635 tombèrent au pouvoir des ennemis de l'Espagne, devenus ceux du Portugal.
Les Portugais s'indignèrent. Comme si cette série d'humiliations. et de ruines commerciales ne suffisait pas, le premier ministre espagnol, Olivarès, acheva de mécontenter les Portugais par sa politique maladroite : il s'aliéna la noblesse en l'éloignant des affaires et en réservant aux Castillans les principaux bénéfices, le peuple en l'accablant d'impôts extraordinaires. L'indignation devint générale et poussa rapidement à la révolte, Un seul désir dominait dans la population : l'affranchissement de la patrie et la restauration d'une dynastie nationale.
Dès 1637 la ville d'Evora se souleva. Enfin, un complot se forma. Dom Jean de Bragance y fut entraîné par sa femme Luisa de Guzman et par son secrétaire Pinto Ribeira. L'archevêque de Lisbonne, Acunha, les grands noms de l'aristocratie portugaise, les Silva, les Almeida, les Ataïde y entrèrent (1). Ainsi que le fait ressortir avec une grande netteté M. Cayx de Saint-Amour, la France, qui avait été directement mêlée à l'origine du peuple portugais lorsqu'il constitua son indépendance au XIle siècle, joua un rôle prépondérant dans cette tentative de renaissance nationale au XVIle siècle. « Engagée alors dans une guerre de suprématie avec la maison d'Autriche, elle lui prêta le concours de sa diplomatie et de ses armes pour secouer le joug castillan et faire accepter de l'Europe la révolution qui se tramait. » Ce fut surtout l'oeuvre de Richelieu, parfaitement conscient de la diversion qu'il apporterait dans les affaires de l'Espagne par la réalisation des projets de la maison de Bragance.
S'il faut en croire Mangin, le grand cardinal, dès son arrivée au pouvoir, se serait mis en rapport avec Jean de Bragance par l'intermédiaire d'un joaillier français nommé Broual, en relation lui aussi avec Pinto Ribeiro.
Dom Juan ne jugea pas le moment propice. De nouvelles négociations eurent lieu dans le même but en mai 1636, par l'entremise du P. Carré (1). En 1638, Richelieu alla jusqu'à proposer à dom Juan le concours d'une flotte et d'une armée françaises. Ce ne fut qu'à la fin de 1640 que dom Juan, nature circonspecte à l'excès, se décida à donner satisfaction aux sollicitations de plus eu plus impérieuses de sa femme et de ses amis, nationaux et étrangers. La révolte qui couvait depuis si longtemps au fond de tous les coeurs portugais éclata à Lisbonne le 1er décembre 1640, à neuf heures du matin.
Après avoir désarmé la garde du palais royal, les conjurés envahirent les appartements de la vice-reine de Portugal; dona Margarida de Savoie, duchesse de Mantoue, put se retirer sans être inquiétée, mais le ministre Vasconcellos, renégat portugais, devenu le principal agent de la tyrannie d'Olivarès, fut tué d'un coup de pistolet. Prévenu la nuit suivante par des affidés, le duc de Bragance débarqua à Lisbonne et fut proclamé roi sous le nom de Jean IV.
L'insurrection gagna comme une traînée de poudre toutes les provinces, abandonnées en hâte par les soldats et les fonctionnaires espagnols.
En moins de huit jours, Jean IV était reconnu sans coup férir par tout le Portugal. Le 28 janvier 1641, les Cortès sanctionnèrent l'acclamation populaire.
Les colonies imitèrent la mère patrie, et bientôt, de toutes les possessions portugaises, la seule ville marocaine de Ceuta resta aux Espagnols. Il ne restait plus qu'à faire accepter cette révolution par les autres puissances européennes. Richelieu s'y employa de toutes ses forces: le 25 mars 1641, Louis XIII reçut solennellement les ambassadeurs de Jean IV, Francisco de Mello et Coelho de Carvalho, et il envoya de son côté, à Lisbonne, le marquis de Saint- Pé, comme représentant de la France auprès du roi (2). La Suède, puis la Hollande et l'Angleterre ne se refusèrent plus dès lors à rentrer en relations avec le nouveau royaume. Ce n'est pas à dire que tout le monde s'inclina aussi docilement devant le fait accompli. En Portugal même, les Espagnols avaient laissé des partisans. Une conspiration fut tramée contre Jean IV par Sébastien de Mattos, archevêque de Braga, le marquis de Villa-Real, le duc de Caminho, le comte d'Armamar.
Elle fut heureusement découverte à temps et se termina par l'emprisonnement ou l'exécution des coupables.
De son côté, la cour de Madrid, revenue de, sa première stupeur, voulut recourir à la force des armes, mais les troupes castillanes furent taillées en pièces par Mathias d'Albuquerque à Montijo, près de Badajoz (26 mai 1644).
Le Portugal pouvait jouir en paix de son indépendance recouvrée, mais ses beaux jours étaient finis : la perte de Malacca, de Colombo, du Cap, enlevés par les Hollandais, activa la décadence de sa puissance maritime, restée l'unique source de sa puissance continentale. Alphonse VI, fils de Jean IV, était peu fait pour maintenir longtemps ce regain de splendeur dont la restauration de la monarchie nationale semblait devoir envelopper le nom portugais. Atteint depuis l'âge de trois ans d'une hémiplégie, il était resté d'une intelligence débile. Il fut cependant reconnu roi à la mort de Jean IV, mais il fut placé heureusement sous la tutelle de sa mère, dona Luisa de Guzman. La régente réussit à repousser une. nouvelle attaque des Espagnols, sans pouvoir empêcher leur rapprochement avec la France, consacré par le traité des Pyrénées et le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse.
Elle contracta alors une alliance avec l'Angleterre, mais lorsque, encouragé par la paix de 1659 et tenace dans ses revendications, Philippe IV voulut tenter un dernier effort contre le Portugal, c'est encore vers la France que le royaume de Portugal menacé se tourna.
Mazarin autorisa le maréchal de Schomberg à partir avec six cents officiers français destinés à encadrer les troupes portugaises.
Les Espagnols furent vaincus à Ameixial (juin 1663). Une seconde défaite à Monteclaros (juin 1665) en délivra définitivement le Portugal. Quelque temps après, Alphonse VI se mariait. La princesse Marie-Francisque-Elisabeth de Savoie, fille du duc de Nemours, et élevée à la cour de Louis XIV, consentait à épouser ce prince infirme.
Une telle union ne pouvait être que malheureuse : elle aboutit, en effet, au bout de quelques mois, à une séparation provoquée par la démonstration de l'impuissance du roi. Forcé par les Cortès de signer son abdication, le triste souverain fut ensuite transféré aux Açores. Plus tard, on le laissa revenir, mais pour le tenir enfermé au palais de Cintra, et c'est là qu'il traîna misérablement ses derniers jours. Pendant ce temps, son frère, dom Pedro, chargé de la régence, obtenait en outre, dès 1668, la main de la reine divorcée. Il prit le titre de roi à la mort d'Alphonse VI en 1683.
Bien secondé par son ministre Ericeira, il entreprit aussitôt le relèvement économique du Portugal : il favorisa de tout son pouvoir les progrès de l'industrie textile, et encouragea le commerce d'exportation des vins. Mais tous ses efforts furent contrariés par l'alliance conclue sous le règne précédent avec l'Angleterre, au profit presque exclusif de cette dernière, qui ne tarda pas à inonder le Portugal de tous les produits naturels et manufacturés sortis des entrepôts du Royaume-Uni: blés, poissons, lards, draps, toiles, cuirs, etc. Au lieu de s'affranchir de cette suzeraineté onéreuse, dom Pèdre se laissa circonvenir de plus en plus par les agents britanniques. Le 27 décembre 1703, il signa le traité si habilement préparé par sir Methuin, ambassadeur de la reine Anne.
Aux termes de cet acte fameux, les tissus de laine des Bretons (Anglais) devaient être admis en Portugal sous condition que, de son côté, l'Angleterre diminuerait d'un tiers pour les vins portugais les droits de douane dont étaient frappés les vins étrangers. C'était, en deux articles, le coup de grâce donné au commerce portugais.
En effet, pour quelques pipes de vins du Douro importés à Londres, les négociants de la Cité acquirent le droit de devenir les fournisseurs attitrés du Portugal, pour la nourriture et le vêtement.
L'indolence native des Portugais supprimant tout équilibre dans l'échange des produits, ce furent les mines du Brésil qui servirent à solder les marchandises anglaises. Dans la première moitié du XVI ème siècle, une somme équivalente à 2 milliards 160 millions de francs alla ainsi s'engouffrer dans les coffres de Londres et de Liverpool. Cette union disproportionnée ne fut pas plus heureuse au point de vue militaire et diplomatique. Devenu l'humble satellite de l'Angleterre, le Portugal, malgré lui emporté dans l'orbite de sa puissante alliée pendant la guerre de la succession d'Espagne qui commencée sous Pedro II, se continua sous son successeur Jean V, sur mer comme sur terre il n'éprouva que des revers.
Vaincu par les armées franco-espagnoles à Almanza, puis à Villaviciosa, il dut souffrir d'autre part la désolation de ses colonies américaines par Duguay-Trouin.
A la paix, en 1715, égoïstement abandonné par l'Angleterre, le Portugal n'obtint aucune compensation en échange de tant de vies d'hommes et de tant d'argent, sacrifiés par lui depuis douze ans. Jean V n'en continua pas moins de perdre joyeusement son royaume.
Il contempla sans sourciller la désorganisation croissante de l'armée, de la marine, de toutes les forces vives de la nation. Hypnotisé par le faste de la cour de Versailles, il prétendit l'égaler, et épuisa les revenus des mines de diamant du Brésil, récemment découvertes, en prodigalités de toutes sortes, en édifices luxueux, en fêtes interminables ou en cadeaux pour ses maîtresses.
Ces offrandes à Vénus ne l'empêchaient pas de se livrer aux exercices de la plus ardente piété. Il était atteint d'une véritable manie liturgique pour les exercices de l'Église. « Il avait obtenu, dit Frédéric II, un bref du pape lui permettant de dire la messe à la consécration près ; ses plaisirs étaient des fonctions sacerdotales, ses bâtiments étaient des couvents, ses armées des moines, ses maîtresses des religieuses ». Son oeuvre pie la plus insensée au point de vue somptuaire est certainement le couvent de Mafra; il ne coûta pas moins de 150 millions de cruzades d'or. Après cela, comment s'étonner que Jean V ait pu obtenir du pape le droit si ardemment sollicité par lui d'ajouter à son nom celui de Roi très fidèle? Ce bigotisme dégénéra en véritable folie. Atteint de paralysie en 1744, Jean V se traîna encore six ans, abandonnant les rênes du gouvernement à son confesseur, le récollet Gaspard de Incarnaçao.
Le Portugal géographique, ethnologique, administratif, économique, littéraire, artistique, historique, politique, colonial, etc., par MM. Brito Aranha, Christovam Ayres, Teixeira
Bastos, Daniel Bellet, Cardozo de Bethencou
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