Duarte Pacheco Pereira défenseur de Cochin.

Duarte Pacheco Pereira, s'illustra dans la guerre soutenue de 1503 à 1505 contre le Zamorin de Calicut. A la tête de 900 Portugais, il défit dans plusieurs combats les troupes du roi hindou cinquante fois plus nombreuses. Avec les vaisseaux qu'il commandait, il s'empara d'un nombre considérable de bâtiments arabes, et fit un butin immense dont il enrichit la couronne du Portugal. Camoes l'appelle l'Achille portugais.















Avant de partir pour le Portugal, François d'Albuquerque avait donné le commandement de la forteresse de Cochin à Édouard Pacheco, qui s'était déjà signalé par divers exploits, et lui avait laissé, outre une garnison de cent cinquante hommes, un vaisseau et deux caravelles. Cependant le zamorin, irrité de ce qu'un facteur portugais avait osé lui enlever un navire chargé de marchandises, et ne recevant aucune satisfaction de cette insulte, se disposait secrètement à reprendre les hostilités; pour mieux réussir dans le projet qu'il méditait, il avait fait courir le bruit que les Portugais de Cochinétaient dans l'intention d'abandonner cette ville pour se retirer à Cananor ou à Coulan. Mais Pacheco protesta avec une telle énergie contre la fausseté de ce bruit, que le roi rassuré lui confia entièrement la défense du pays. Pacheco convoqua aussitôt les principaux négociants maures, et leur déclara que lui et les siens étaient prêts à verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour le salut de la ville, et il termina son discours en disant qu'il ferait pendre tous ceux qui seraient assez lâches pour tenter d'échapper par la fuite au sort qui menaçait le prince et ses sujets.

septième et decisive victoire de Pacheco
Septième et décisive victoire de Pacheco SENDIM, Maurício José do Carmo, 1786-1870
A mesure qu'il parlait, son visage s'animait, et il prononça la dernière menace avec tant de véhémence , que ses auditeurs , croyant déjà se sentir la corde au cou, se jetèrent à ses pieds et jurèrent qu'ils ne sépareraient pas leur cause de celle des rois de Cochin et de Portugal. S'étant ainsi assuré de la fidélité des Maures par la terreur qu'il savait leur inspirer, Pacheco n'attendit pas l'arrivée du zamorin.
Il entra sur ses terres et les ravagea tellement, que les Indiens qui combattaient sous ses ordres le prenaient non pour un homme, mais pour un démon. Fatigué des cris de ses sujets, que le glaive portugais poursuivait de tous côtés, le zamorin se décida enfin à entrer en campagne. Suivi de plusieurs princes alliés et d'une armée de cinquante mille hommes, il marcha sur

Cochin.
Quel que fût le courage de Pacheco, il sentait mieux que tout autre l'espèce d'impossibilité où il se trouvait à résister à des forces si nombreuses avec cent cinquante hommes sur lesquels seuls il pouvait compter, et qu'il était en outre obligé de diviser sur terre et sur mer. Néanmoins il parvint par ses paroles à électriser à tel point ses soldats, qu'ils s'embrassèrent et s'engagèrent par les serments les plus solennels à défendre jusqu'à la mort l'honneur de leur nation et les intérêts de leurs alliés. Ils s'approchèrent ensuite tous des sacrements, et attendirent avec patience que le Ciel décidât de leur sort. Avant de sortir de Cochin, le commandant portugais se présenta chez Trimumpara pour lui faire ses adieux; mais la gaieté pleine d'insouciance qu'il affectait n'imposa pas à ce prince, qui ne put retenir ses larmes en songeant que son ami allait courir à une mort certaine. Il se dirigea ensuite vers le gué que devait traverser l'ennemi, car la ville était entourée d'eau, et il le barra en amarrant ensemble une de ses caravelles et deux bateaux au moyen de câbles et de chaînes. L'ennemi parut le même jour, et la nuit suivante le zamorin fit construire une batterie dans le but de protéger le passage de ses troupes. Le lendemain, qui était le dimanche des Rameaux , toute l'armée calicutienne s'ébranla et marcha vers le gué, pendant qu'une flotte nombreuse de bâtiments à rames et munis d'artillerie s'avançait le long de la côte. La vue de cette multitude et les cris qu'elle poussait jetèrent l'effroi dans l'âme des naïres qui accompagnaient Pacheco , et on les vit se retirer en désordre, de sorte qu'il ne restait plus que les Portugais, qui, sans se troubler, répondirent par des cris non moins forts au défi de leurs adversaires.
Une vingtaine de petits bâtiments enchaînés et armés de grappins commencèrent le combat en attaquant la caravelle.


Les Portugais, après les avoir laissés approcher, firent une décharge si heureuse, qu'ayant rompu les chaînes et coulé quelques-unes de ces embarcations à fond, ils forcèrent les autres à virer de bord. Une seconde ligne de bateaux prit la place de la première et fut reçue de même. Enfin une troisième se mit en mouvement, et au même instant les troupes de terre entrèrent dans le gué. Mais Pacheco, qui semblait se multiplier avec le danger, faisait face à tout, et ses compagnons, stimulés par son exemple, tirent de si grands prodiges de valeur, que, quand le soir arriva, ils avaient mis plus de quinze cents ennemis hors de combat, quoiqu'ils n'eussent de leur côté qu'un très-petit nombre de blessés. Huit jours après, le zamorin tenta un nouvel effort; mais cette fois il crut devoir le diriger en partie contre le vaisseau que Pacheco avait chargé de protéger la ville, et qui était resté dans la rade. Il partage en conséquence sa flotte en deux, envoie une moitié à l'attaque du bâtiment, et fait marcher l'autre dans les sinuosités d'un fleuve voisin. Instruit du dessein de son ennemi, Pacheco vole dans la rade avec une de ses caravelles, laissant la seconde à la défense du gué. Aidé par la marée et le vent de terre, il arrive soudain devant la flotte, et sa présence la met en fuite malgré les efforts des chefs pour la rallier. Pendant qu'il continue à avancer, il entend tout à coup derrière lui le bruit du canon. Aussitôt il rebrousse chemin, et le vent ayant changé ainsi que le flot, il revient au gué que le zamorin avait de nouveau attaqué dans l'espoir de l'emporter pendant l'absence du vigilant chef portugais. Il trouve la caravelle percée à fleur d'eau, et ses soldats exténués de fatigue, tant la lutte avait été acharnée. Mais sa réapparition frappe les Indiens de stupeur, et la voix du zamorin n'est plus capable de les maintenir à leur poste. La rage et le désespoir ne permirent pas au roi de Calicut de donner quelque repos à ses troupes ; le jour suivant il les ramena au combat, et la victoire se déclara encore contre lui.
Confus et humilié, il leva alors le camp. Pacheco se mit à sa poursuite, et laissa partout des traces sanglantes de son passage. Quelque honte qu'il y eû à renoncer à une guerre commencée avec tant de dépenses et d'éclat, le zamorin était assez disposé à demander la paix; mais son conseil s'y opposa, et il fut résolu qu'on attaquerait Cochin par deux passages à la fois, afin d'obliger les Portugais à diviser leurs forces. Pacheco trouva encore moyen de parer le coup. Il se transportait en bateau d'un passage à l'autre avec une incroyable activité , et il continua ce manège jour et nuit, jusqu'à ce qu'enfin il se vît de nouveau en face de l'ennemi. L'attaque fut vive; mais de quelque côté que le zamorin fit approcher ses troupes, elles trouvaient toujours l'infatigable Pacheco prêt à les recevoir, et elles furent forcées de reculer. La peste, qui fit alors de grands ravages dans l'armée indienne, permit aux Portugais de radouber leurs bâtiments, et de faire quelques retranchements. A peine ces travaux furent-ils terminés, que le roi de Calicut revint à la charge avec quarante mille hommes et trente pièces de canon. Le commandant portugais, qui n'avait avec lui que quarante hommes, attendit sans faire aucun mouvement que l'artillerie du zamorin eût commencé son feu. Il fit alors jouer la sienne avec beaucoup de succès , sans toutefois pouvoir empêcher l'avant garde ennemie d'entrer dans le gué. Cependant les grenades, qui tombaient sur les Indiens et qui étaient encore une nouveauté pour eux, ralentirent leur ardeur. Le gros de l'armée vint appuyer l'avant garde, et le zamorin, combattant comme un simple soldat, continua d'animer ses troupes du geste et de la voix. Mais deux naires ayant été tués à côté de lui, il s'éloigna, tout en recommandant à ses généraux de redoubler, d'efforts, afin de prévenir la marée montante. Les Indiens avançaient toujours, quand ils rencontrèrent un obstacle auquel ils ne s'attendaient pas. C'étaient des pieux armés de pointes et de crochets de fer que les Portugais avaient plantés sous l'eau pendant la dernière trêve. En se sentant les jambes déchirées par cet ennemi invisible, ils commencèrent à jeter des cris perçants, et tombant les uns sur les autres, pendant qu'ils cherchaient à se sauver, il s'enfoncèrent de plus en plus dans la vase, ou plusieurs périrent misérablement.
Les Portugais se croyaient déjà assurés de la victoire , quand une palissade qu'ils avaient élevée d'un autre côté fut forcée et livra passage aux Indiens. En un instant ils environnèrent la barque de Pacheco et en saisirent les rames. Se croyant perdu, le brave et vieux commandant s'adressa au Ciel; le flot parut revenir exprès pour exaucer sa prière, et les Indiens furent obligés de lâcher prise.
Le zamorin fit sonner la retraite. Comme il côtoyait le rivage, un boulet passa tout près de lui et frappa trois seigneurs de sa cour. Saisi d'une terreur panique, il sauta à bas de son palanquin et se sauva à pied. Des revers si multipliés achevèrent de décourager ce prince ; cependant comme son conseil voulait que l'on continuât la guerre , il songea à essayer l'effet de quelques machines inventées par un ingénieur arabe, et avec lesquelles on devait pouvoir brûler tous les vaisseaux portugais.


Ces machines consistaient tout simplement en des tours montées sur des bateaux et assez hautes pour dominer le pont des plus forts bâtiments. Pacheco, ayant eu connaissance du plan de ces machines, en tit aussitôt construire de semblables , et y ajouta un ponton composé de poutres très fortes, que l'on assujettit par des ancres et par des chaînes. Le jour de l'Ascension, la flotte indienne se mit en mouvement, précédée d'un grand nombre de radeaux qu'on avait chargés de matières combustibles, et suivie des tours dont on attendait un si prodigieux effet. Mais tous ces projets s'en allèrent littéralement eu fumée. Les radeaux, abandonnés au courant de la marée après qu'on y eut mis le feu, et détournés par le ponton , se consumèrent en pure perte, et la flotte, qui n'osait avancer dans la crainte de toucher à ces bûchers flottants, resta pendant tout ce temps exposée au feu des Portugais, de sorte que les flots étaient couverts de corps morts et de débris de bâtiments. Deux des fameuses machines s'approchèrent alors, et le combat s'étant engagé avec une égale fureur de part et d'autre , la victoire resta quelque temps indécise.
Mais Pacheco lit pointer deux pierriers contre les tours, et après quelques décharges, elles s'écroulèrent avec un horrible fracas, ensevelissant sous leurs ruines tous ceux qui les défendaient, et le zamorin fut encore obligé de s'avouer vaincu. Pendant que sa flotte se retirait dans le plus grand désordre, il reprit avec i'armée de terre la route de Calicut. Le spectacle de désolation qu'offrait alors cette ville fit une profonde impression sur l'esprit du prince , que l'abandon de la plupart de ses alliés et la perte de plus de vingt mille hommes dans l'espace de cinq mois avaient déjà singulièrement abattu. Dégoûté du souverain pouvoir, il voulut l'abdiquer et finir ses jours dans la solitude; mais sa mère, femme d'un grand courage, le força par ses remontrances à renoncer à son dessein. Cependant il n'était plus temps de songer à la vengeance. Lope Soarez d'Alvarenga venait d'arriver du Portugal avec une flotte imposante. Le zamorin le fit prier de recevoir sa soumission ; mais Soarez ayant exigé qu'on lui remît deux transfuges qui avaient rendu de grands services aux Indiens dans la dernière guerre, il ne put se résoudre à livrer ces malheureux, et les négociations furent rompues. La vaine satisfaction d'humilier un ennemi vaincu porta alors le général portugais à des représailles aussi cruelles qu'elles étaient peu motivées.
Il s'amusa pendant deux jours à battre Calicut à coups de canon, à ruiner ses plus beaux édifices et à inonder ses rues de sang. Réduit au désespoir, le zamorin partit pour Cranganor, où il avait donné ordre à son armée de se réunir. Mais avant qu'il eût pu faire aucun mouvement, Soarez vint lui présenter la bataille.
Les Indiens se défendirent avec courage; cependant, obligés de céder, ils se mirent à fuir vers la ville, où les Portugais entrèrent après eux et en firent un horrible carnage. Le roi de Tanor, un des vassaux du zamorin, crut pouvoir profiter de ces circonstances pour secouer le joug. Il alla attendre le roi de Calicut dans un défilé et lui tua deux mille hommes.
Quelque temps après, il le surprit de nouveau et acheva de dissiper entièrement les misérables restes de son armée fugitive. Soarez cependant n'était pas encore satisfait. Sans même prévenir Trimumpara, il se jeta sur une vingtaine de bâtiments maures richement chargés, qui n'attendaient que le vent pour faire voile vers la mer Rouge. On lui opposa une vive résistance, et ce ne fut pas sans peine qu'il força les Maures à abandonner leurs vaisseaux, qui furent aussitôt livrés aux flammes. Fier de ses victoires, Soarez se pressa de retourner en Portugal, où il fut reçu avec de grands honneurs.

Il ne fixa pourtant pas autant l'attention du public que Pacheco, qui avait fait le voyage avec lui. On ne pouvait se lasser de voir, le brave, défenseur de Cochin,

et d'entendre les faits prodigieux de cet homme que l'on pouvait regarder lui-même comme un prodige.

Pacheco tomba néanmoins bientôt dans l'oubli ; et comme il n'avait jamais pensé à faire fortune, ce qui lui eût été facile , il ressentit les atteintes de la pauvreté. Sa franchise un peu brusque lui attira de nombreux ennemis.
Accusé de malversation dans un petit gouvernement qu'on lui avait donné par pitié, il fut chargé de chaînes et languit longtemps dans une obscure prison. Enfin son innocence fut reconnue , et on lui rendit sa liberté; mais il vécut toujours pauvre, et mourut dans un état voisin de la mendicité.

Méry, Léopold. Emmanuel, ou la Domination portugaise dans les Indes Orientales au XVIe siècle, par Léopold Méry. 2e édition. 1854.

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