1511 conquête de Malacca par Albuquerque.

Avant qu'Albuquerque fût arrivé à Malacca, Mahmoud avait déjà pris ses mesures pour mettre la ville en état de défense. Elle n'avait point de fortifications; mais en revanche elle possédait une garnison de trente mille hommes et une nombreuse artillerie. Mahmoud ne laissa pas d'envoyer saluer le gouverneur à son entrée dans la rade, et le pria d'oublier le passé. Albuquerque voulut bien recevoir ses excuses, et se contenta de demander que Ruy d'Aravio et les autres Portugais fussent aussitôt mis en liberté. Dans la crainte d'une guerre dont il était difficile de prévoir l'issue,
Mabmoud était assez disposé à donner quelque satisfaction aux Portugais ; mais ses conseillers pensaient autrement, et il finit par se ranger de leur avis. Pour donner à sa flotte alors occupée au dehors le temps d'arriver, il chercha à amuser Albuquerque par de vaines promesses; cependant il s'y prit d'une manière si grossière, que .le gouverneur eut peine à ne point perdre patience. La considération du danger où se trouvait le consul l'empêchait d'éclater. Mais Aravio , qui n'ignorait rien, fit dire à Albuquerque que lui et ses compagnons étaient résignés à tout, et qu'ils demandaient qu'on les oubliât pour ne songer qu'à venger l'honneur de la nation. Encouragé par cette généreuse résolution, le gouverneur fit mettre le feu à quelques quartiers de la ville.


Ce moyen lui réussit au delà de toute espérance. Mahmoud lui envoya tous les prisonniers portugais, le priant en grâce de permettre qu'on travaillât à éteindre le feu qui déjà menaçait de tout envahir. Ravi d'avoir sauvé la vie à ses compatriotes, Albuquerque demanda alors qu'on lui remboursât les frais de l'armement qu'il avait fait, et qu'on lui donnât un emplacement pour construire une citadelle qui mît les sujets du roi son maître à l'abri de toute trahison. Mahmoud feignit de se rendre ; mais Albuquerque, ayant découvert la mauvaise foi de son ennemi, se décida à le chasser et à s'emparer de Malacca. Déjà Aravio lui avait dit qu'il en serait maître aussitôt qu'il aurait pris le pont qui réunissait les deux quartiers de la ville; et en lui donnant tous les détails nécessaires sur les avenues de ce pont, il lui avait indiqué la marche qu'il devait suivre pour s'en assurer la possession. La veille de Saint-Jacques-le- Majeur, patron de la péninsule hispanique, tous les officiers se réunirent auprès du gouverneur pour concerter le plan d'attaque, et le jour même de la fête, les Portugais, divisés en deux corps , débarquèrent sous le feu de l'artillerie ennemie et sous une grêle de traits.

Albuquerque, qui commandait la première division , eut bientôt forcé l'ennemi à reculer; mais ce ne fut pas sans peine qu'il arriva jusqu'au pont, où devait le rejoindre la seconde division, conduite par don Juan de Lima. Cet officier était descendu sur la rive opposée ; mais il avait été arrêté en chemin par Mahmoud, qui était venu à sa rencontre avec cinq cents hommes et un grand nombre d'éléphants. La vue de ces animaux, dont la trompe était armée de faux, ayant paru intimider les Portugais, Lima fit ouvrir les rangs pour les laisser passer, après quoi il les attaqua vivement. L'éléphant que montait Mahmoud, ayant été blessé , tourna sa fureur contre son cornac et le foula aux pieds. Le roi effrayé sauta à terre et parvint à s'échapper, pendant que ses soldats fuyaient de tous côtés. Lima, n'éprouvant plus de résistance, arriva enfin jusqu'au pont. Ceux qui le gardaient, se voyant entre deux feux, n'osèrent soutenir le combat plus longtemps; ils se jetèrent dans la rivière; le courant les emporta vers les bateaux portugais , et là ils furent presque tous assommés.
Albuquerque, une fois maître du pont, se disposa aussitôt à s'y fortifier ; il plaça deux pièces de canon à l'entrée de la rue qui y conduisait, et pour se préserver des traits qu'on lui lançait du haut des toits, il mit le feu aux maisons les plus voisines. Cependant la lutte continuait toujours dans l'intérieur de la ville ; les Portugais étaient harassés et souffraient tout à la fois de la faim et de la chaleur du jour. Albuquerque sentit l'impossibilité de venir à bout de ses projets, et il fit sonner la retraite, bien résolu à revenir plus tard à la charge. Pendant que ses troupes se reposaient, le gouverneur ne restait pas oisif. Il fit garnir un bateau de tous les outils et de tous les matériaux nécessaires pour la construction d'une batterie, et l'ayant armé convenablement, il le fit remorquer par des chaloupes jusque dans l'embouchure de la rivière.


Le 10 août, les Portugais reparurent sur l'une et sur l'autre rive, et s'élancèrent en avant dans le même ordre que précédemment. Albuquerque poussa les ennemis devant lui jusqu'au milieu de la grande rue où ils avaient construit des retranchements, et où ils se défendirent avec une espèce de rage. Il parvint toutefois à les en chasser, et y laissant une partie de ses troupes, il revint avec l'autre sur ses pas Il trouva le pont déjà nettoyé par la valeur d'Antoine d'Abreu , et s'occupa aussitôt à en faire un poste capable de résister à tous les efforts de ses ennemis. Le bateau qu'on avait fait avancer pendant ce temps contenait un grand nombre de futailles vides. Ces futailles furent rangées en ordre aux deux extrémités du pont et remplies de terre.
On eut ainsi deux batteries assez solides, que l'on arma aussitôt de canons. On occupa aussi quelques-unes des maisons environnantes, qui furent converties en redoutes. Mahmoud s'était retiré dans son palais, où Albuquerque ne voulait pas qu'on le poursuivît pour le moment, et ses sujets continuaient à se battre dans les rues avec le courage du désespoir.
Mais les Portugais, ayant reçu un renfort, les refoulèrent et en firent un tel carnage, que le sang ruisselait sous leurs pieds, et ce massacre dura jusqu'à l'heure où la nuit força les ennemis d'abandonner la place. Le lendemain, la ville ressemblait à une affreuse solitude. Le roi l'avait quittée avec ce qui lui restait de troupes , et pas un habitant n'osait sortir de chez lui, tant était grande la frayeur qui s'était emparée des esprits. Pendant trois jours Malacca fut en proie à l'avidité du vainqueur, qui fit un butin immense ; mais on ne toucha ni aux magasins ni à l'arsenal, dans lequel se trouvaient, dit-on , trois mille pièces d'artillerie.
Tous les Maures qu'avait épargnés le fer des Portugais furent faits esclaves; les Indiens et les étrangers conservèrent leur liberté. Cette conquête, qui fut l'ouvrage de huit cents Portugais et de deux cents auxiliaires malabares, montre ce que peut la bravoure, et de quoi sont capables des hommes de coeur conduits par un grand capitaine. Pour captiver l'esprit du peuple, le gouverneur donna l'intendance des Maures étrangers à Utemutis et celle des Indiens à Ninachetu, auquel Aravio avait beaucoup d'obligation.
C'en fut assez pour que les habitants que la terreur avait chassés rentrassent dans leurs foyers, et que la ville reprît son premier aspect. La presqu'île n'offrant aucune pierre propre à la bâtisse, Albuquerque fit construire un fort provisoire en bois , et il ordonna en même temps la démolition des tombeaux des anciens rois du pays, pour en commencer un autre plus grand et plus solide. De son côté, Mahmoud se fortifiait sur la rivière de Muar aux environs de Malacca, et n'attendait plus que le retour de sa flotte pour reprendre l'offensive.
Mais Albuquerque envoya contre lui quatre cents Portugais avec un nombre double de Javans et de Malais, et il fut obligé de s'enfuir plus loin.
Débarrassé de son voisinage, qui ne laissait pas de l'inquiéter, Albuquerque ne s'occupa plus que des soins de l'administration. Les lois qu'il établit furent reçues avec d'autant plus de plaisir qu'étant fondées sur la justice et l'équité, elles faisaient mieux ressortir l'arbitraire et le despotisme qui avaient dicté colles du gouvernement déchu. Mais ce qui acheva de lui gagner l'estime et l'affection générale, ce fut une nouvelle monnaie d'or et d argent qu'il fit frapper et répandre à pleines mains dans les rues et sur les places publiques.
La nouvelle de la prise de Malacca avait vivement ému les cours de l'Inde; toutes demandèrent à laire alliance avec les Portugais. Albuquerque accueillit ces demandes avec la plus grande satisfaction , et il envoya de son côté des ambassadeurs aux princes qu'il croyait particulièrement disposés à vivre en bonne intelligence avec la cour de Portugal.
Cependant Utemutis, qui déjà sous le règne de Mahmoud avait cherché à se rendre maître du souverain pouvoir, s'agitait secrètement, dans l'espoir qu'il réussirait mieux sous un gouvernement étranger et nouveau. Mais ces menées furent découvertes et il fut condamné à mort, ainsi que son fils et deux autres membres de sa famille. Son épouse fit tout ce qu'elle put pour le sauver; elle offrit même au gouverneur une somme énorme pour qu'il commuât la peine qu'il avait prononcée en un bannissement perpétuel. Albuquerque répondit que le roi son maître ne lui avait pas légué son autorité pour vendre la justice; et les coupables furent exécutés avec tout l'appareil capable d'inspirer la terreur à ceux qui auraient été tentés de les imiter. Le retour de la mousson engagea Albuquerque à reprendre le chemin de l'Hindoustan.
Il nomma Kay de Britto gouverneur de Malacca, et mit à la voile, au grand regret des habitants , qui auraient voulu le retenir toujours auprès d'eux, tant il s'était fait aimer et respecter par sa bonté et son amour de la justice.

Méry, Léopold. Emmanuel, ou la Domination portugaise dans les Indes Orientales au XVIe siècle, par Léopold Méry. 1854


forteresse portugaise, Malacca
Forteresse portugaise, Malacca




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