Début des Grandes Découvertes portugaise Partie 1

Au moyen âge, un souffle de foi, pendant la période ardente des croisades, avait poussé l'Occident vers l'Orient, comme si la civilisation, sombrant dans la nuit après la chute de l'empire romain et les invasions des Barbares, n'eût plus attendu son salut que d'un retour à son berceau.

Les huit entreprises de l'Europe contre l'Islam semblaient, il est vrai, quand la chrétienté vit s'écrouler son dernier rempart à Ptolémaïs, ne devoir offrir d'autres résultats que la perte de six millions d'hommes et l'écrasement des peuples sous les impôts agravés successivement au cours de deux siècles pour subvenir aux frais de guerre. Cependant les générations venues ensuite ne s'étaient pas lassées de rêver la conquête de cette Asie où, par les routes connues, le commerce allait, sacrifiant les croyances aux intérêts, s'enrichir sur les marchés possédés par les infidèles.
Les Indes restèrent le but où tendaient tous ceux qui avaient soif de fortune. 
Deux chemins y conduisaient celui de Constantinople par terre, celui d'Egypte et de Syrie par mer. Les califes et ceux qui les reconnaissaient pour souverains étaient devenus, dans la seconde moitié du quinzième siècle, les maîtres de ces deux voies, les seules suivies par les caravanes ou par les caravelles. Ils tenaient, en outre, en leurs mains, toute la côte barbaresque depuis le détroit de Gibraltar jusqu'à l'Arabie. 
En s'emparant de la clef de la mer Noire, ils avaient eu surtout pour objectif de rendre l'Europe tributaire pour tout ce qui concernait ses relations commerciales avec le Levant. Aussi les nations européennes, ne pouvant renverser cette barrière sur laquelle flottait l'étendard du Prophète, cherchaient-elles à se créer un autre itinéraire.
Caravelle du XV siècle
Caravelle du XV siècle
Gènes, Venise, les Portugais, les Espagnols y pensaient dès 1453, même depuis le quatorzième siècle, mais il leur était impossible de résoudre le problème, qui obligeait à s'aventurer sur l'Océan au large les connaissances nautiques et géographiques étaient encore insuffisantes à cette époque  les moyens de construire les navires demeuraient trop imparfaits; les bâtiments, trop légers, ne pouvaient affronter les dangers des hautes vagues. La navigation devait se borner au cabotage, et les ports d'escale et de relâche étaient au pouvoir des musulmans. La boussole, dont l'emploi commença à se généraliser à la fin du quatorzième siècle, fournissait, à visai dire, le moyen de se diriger, mais on n'en avait pas jusqu'alors appliqué l'usage aux projets d'expédition lointaine.
Ces projets n'étaient pas nouveaux. 

Bien, des esprits initiés à la science cosmographique se persuadaient qu'il était possible d'aller aux Indes, ou, comme on disait alors, « aux épices », en contournant le continent africain, après avoir navigué à l'ouest, de la même manière que l'on y allait par l'est à travers la Méditerranée. Cette opinion se trouvait d'ailleurs confirmée par la croyance à la sphéricité de la terre, qui commençait à se répandre, grâce aux travaux de Regiomantanus et du plus célèbre de ses élèves, Martin Behaim. La route de l'Ouest, comme on l'appelait, ne pouvait toutefois être ouverte que si l'on modifiait avant tout les conditions de gréement et d'armement des flottes entretenues par les puissances maritimes, en substituant aux caraques et caraquons, aux galéasses et galéons, aux galères et brigantins, des vaisseaux capables de s'éloigner sans péril des côtes. Ce fut l'œuvre d'environ un demi-siècle, et, quand elle eut atteint le degré d'achèvement voulu, une ère nouvelle s'inaugura.

Le Portugal eut l'honneur d'être le premier à donner l'impulsion au grand mouvement qui transforma tout le monde économique, et avec lui la vie sociale. Sans doute, longtemps avant les Portugais, la côte africaine avait été explorée par des Génois, des Majorquins, des Dieppois, des Rouennais, qui y avaient tour à tour créé des établissements; mais ces aventures isolées, que l'histoire n'a pas oubliées, n'eurent point sur les progrès de l'humanité l'influence considérable exercée par les découvertes portugaises. L'action de celles-ci fut d'autant plus marquante et plus décisive qu'elle eut pour promoteurs les rois de Portugal eux mêmes.
Ces princes s'entourèrent des savants de leur temps, des plus hardis marins qui pouvaient les éclairer sur les réformes nécessitées dans la navigation, et sur les horizons à ouvrir devant elle. Parmi eux, le plus glorieux fut le troisième fils de Jean Ier, don Henrique, connu sous le nom de Henri le Navigateur. Comme ses aïeux, il s'attacha particulièrement à l'étude de la navigation, mais il voulut donner à ses travaux un caractère pratique. Il avait l'ambition d'étendre le sceptre de la maison de Bragance sur des territoires bien plus vastes que ceux où se renfermaient les étroites  limites du petit royaume portugais. 
Il rêvait d'y englober le Maroc, puis, au delà, toute la côte occidentale de l'Afrique, avec les régions à découvrir, mers et terres, puis encore, franchissant les océans redoutés, il espérait conquérir le pays des épices, et convertir tout l'Orient au christianisme pour faire ainsi du Portugal le plus prodigieux des empires.
Don Henrique
Don Henrique ne réalisa pas ce splendide idéal, mais il y travailla si activement qu'il sut laisser à ceux qui vinrent après lui une tâche magnifique à compléter. Les expéditions qu'il provoqua, et les succès dont elles furent couronnées, lui permirent d'accroître déjà la puissance coloniale des Portugais. Il en fut récompensé par l'admiration enthousiaste de ses contemporains et de la postérité.
Nommé gouverneur de Ceuta par son père, il résolut de pousser les reconnaissances maritimes au delà du cap Noun (cap du Maroc), que personne n'avait jamais osé doubler. 

En 1415, il envoya Jean Gonçalves Sarco et Tristam Vaz Teixeira à la recherche de la côte de Guinée, sur laquelle des Maures lui avaient donné quelques vagues indications. Les deux commandants choisis par lui étaient des hommes hardis; ils auraient certainement rempli le vœu de leur maître, s'ils n'avaient été assaillis par une tempête qui les empêcha d'avancer.
Ils n'allèrent pas plus loin que le cap Bojador, à soixante lieues au sud du cap Noun. 
En 1419, le prince leur donna le commandement d'une seconde expédition. Cette fois, repoussés de terre par un ouragan, il furent rejetés sur une île qu'ils appelèrent Madère, à cause des forêts dont elle était couverte. 

En 1433, Gil Eanes, intrépide capitaine et écuyer de don Henrique, mit à la voile. Après un premier échec, il doubla, en 1434, le cap Bojador. A partir de ce moment, d'année en année les conquêtes de l'inconnu se multiplièrent. Les plus importantes furent celles des Açores par Cabral, de l'archipel d'Arguin par Nunes Tristan, des îles du Cap-Vert par Diniz Daz, de Sierra Leone par Alvaro Fernandez.
Henri le Navigateur mourut en 1460. Alphonse V fut l'héritier de sa pensée et de ses plans. Sous ce roi, Pierre de Cintra et Soerio da Costa s'avancèrent jusqu'au Libéria, puis Jean de Santarem et Pêro d'Escovar dépassèrent le cap de la Sierra Leone; Soqueira entrevit les îles de Fernando, du Prince, et toute la côte jusqu'au cap Sainte-Catherine. Partout où les navigateurs portugais abordaient, ils dressaient sur le rivage un padrao, croix de pierre portant les armes du Portugal, le nom du roi, celui de l'auteur de la découverte et la date de celle-ci. C'était le signe et l'affirmation du droit de propriété.

Pour tous le but restait le même trouver la nouvelle route des Indes.
astrolabe
Astrolabe
Jean II crut y toucher. L'astrolabe, instrument nautique présenté au congrès de savants présidé par lui à Lisbonne, donnait au navigateur le moyen de se lancer sur l'immensité des flots en gardant toujours la certitude de s'assurer de la position du navire et de pouvoir regagner le port. Diego Cão  et Martin Behaim en firent l'expérience, quand ils reconnurent l'embouchure du Zaïre (Congo) en 1484, et le succès répondit à leur attente. Ce fut un voyage d'aventures et de périls qui dura dix neuf mois, mais les résultats acquis dépassèrent toutes les espérances.
Les deux explorateurs entrèrent partout en relation avec les indigènes, et obtinrent d'eux des renseignements précieux sur les terres et les côtes situées plus au sud de l'Afrique. En même temps, ils recueillirent des indices nombreux sur l'existence dans l'Océan oriental d'une ville opulente qu'on leur dit s'appeler Sofala, et d'une île de la Lune (Madagascar) dont on affirmait également la richesse.
Or, les géographes arabes avaient accrédité la théorie d'après laquelle la route, quand on était parvenu à l'extrémité de l'Afrique occidentale, était impraticable aux navires, qui s'exposeraient, assuraient-ils, au milieu de la nuit éternelle, sans que jamais une étoile apparût, sans que la voile pût compter sur le vent. Ils ajoutaient que, d'ailleurs, la région tropicale était inhabitée et inhabitable, les éléments s y opposant à la vie Ces chimères étaient acceptées par la science. Diogo Cão et Martin Behaim les mirent à néant. Ils démontrèrent la possibilité de doubler la pointe sud de l'Afrique. Jean II se rallia à cette conviction. Il fit plus.
Par son ordre, une escadre composée de deux bâtiments de cinquante tonneaux et d'une embarcation chargée de munitions et de vivres partit le 2 août 1486, sous le commandement de Barthélémy Diaz, gentilhomme de sa maison, à qui l'on devait déjà plusieurs découvertes.
Diaz dépassa le tropique méridional, puis entreprit audacieusement la recherche du cap sud. Il n'y arriva qu'après avoir bravé les plus grands dangers, et malgré son équipage révolté. Il plaça le padrão à l'extrémité de l'Afrique,, détermina exactement la position du Cap, explora trois cents lieues de côtes et revint à Lisbonne. Le roi l'accueillit avec enthousiasme.
Le navigateur ne lui cacha rien des difficultés qui paralyseraient probablement toute tentative de doublement de ce terrible promontoire auquel il avait donné le nom de Cap des Tempêtes (Cabo Tormentoso); mais Jean II ne-partagea ni ces craintes, ni ce sinistre augure. Qu'il soit, dit-il, appelé le cap de Bonne-Espérance.

 
Carte de la cote oriental d'Afrique
Sûr désormais de la réussite, Jean II crut pouvoir tourner ses regards d'un autre côté. La route par mer, en s'affranchissant du calife, était maintenant connue. Il ne restait qu'à mettre les navires portugais en
état de la sillonner. C'était une entreprise qui pouvait être retardée, pourvu qu'on en gardât le secret. Il y avait, d'ailleurs, une autre raison qui décidait le roi à ne pas précipiter le départ d'une nouvelle expédition vers le sud de l'Afrique; il venait d'envoyer une ambassade au Prestre-Jean (Ung-Chan), dont l'autorité était sans égale dans le monde chrétien, quoique l'on ne sût rien à son égard que par le récit de Marco Polo, mais on le croyait maître d'un royaume s'étendant à la fois sur l'Afrique
et l'Asie, et l'on avait la ferme conviction que, grâce à son appui, il devait être facile de pénétrer par la route de terre jusqu'aux Indes.
Deux gentilshommes portugais, Alfonso de Paiva et Pero de Covilha, étaient partis avec les lettres royales pour le mystérieux souverain. Ils arrivèrent ensemble à Aden, où ils se séparèrent Covilha allant vers la côte de Malabar, Sofala et Madagascar, qu'il visita successivement, Paiva vers le Caire, où il mourut. Quand son compagnon atteignit, de son côté, la capitale de l'Egypte, il y trouva des instructions de Jean II qui lui donnaient l'ordre de se rendre en Abyssinie. 

ile de mozambique
Ile de mozambique
Là, le négus retint Covilha prisonnier, tout en le traitant avec bonté.
Sa captivité ne cessa qu'en 1520, mais il avait pu faire porter à Lisbonne, par des agents juifs, une relation de son voyage. On possédait ainsi des notions sur la côte orientale de l'Afrique, depuis l'Egypte jusqu'à Madagascar. Il n'y avait plus, dans ces conditions, que la partie du continent comprise entre l'île de la Lune et le cap de Bonne-Espérance qui n'eût pas été explorée.



La mort ravit, en 1496, à Jean II la gloire qui ,devait s'attacher à la réalisation des deux grands desseins de ce prince, mais cette gloire échut à son fils, le roi Manuel. L'antiquité avait cru, avec Ptolémée, non seulement que la terre placée au centre de l'univers était un corps fixe, mais aussi que l'Afrique s'infléchissait dans sa partie méridionale vers l'est, et que l'océan Indien formait une Méditerranée orientale. Les savants arabes propagèrent surtout cette dernière erreur, mais dès le dixième siècle les navigateurs qui visitaient la côte de Zanzibar la démentirent.
Pero de Covilhã confirmait cette rectification, en annonçant que des colonies arabes s'étaient établies le long de la côte orientale d'Afrique et y avaient apporté vers le Sud la civilisation de l'Orient. Ces villes africaines devaient donc être le but des expéditions qui partiraient du cap de Bonne-Espérance et le doubleraient. Si elles réussissaient dans la création d'une ligne ininterrompue de navigation entre le Cap et Aden, la route nouvelle tant cherchée serait définitivement trouvée, car à partir d'Aden il n'y avait plus qu'à suivre le sillage des navires arabes.
Don Manuel confia cette tâche à Vasco de Gama, qui l'accomplit.

Vasco de Gama
Vasco de Gama



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