MOEURS ET COUTUMES DES PORTUGAIS Par SILVA LISBOA (1900)


Contrairement à une opinion très répandue, le Portugal diffère sensiblement de l'Espagne au point de vue social, intellectuel et moral aussi bien qu'au point de vue géographique. Ethnographiquement, les habitants des deux pays sont de même race; mais, de part et d'autre, les traits primitifs se sont altérés sous l'influence d'une longue série de croisements entre indigènes et étrangers, et aujourd'hui, une fois franchie la frontière hispano-portugaise, le contraste des caractères et celui des physionomies éclatent aux yeux du voyageur. En Portugal même le type national, le mode de vie, les costumes offrent d'une région à l'autre une certaine disparité.
Le savant Oliveira Martins a très exactement précisé les signes distinctifs des diverses populations provinciales; ainsi les Minhotos sont des cultivateurs intelligents, sérieux à l'ordinaire, mais très gais à l'occasion, et grands amateurs de bijoux; les vignerons du Douro, les habitants de la Beira, tantôt bergers, tantôt pêcheurs, sont aussi vaillants à la besogne qu'ardents au Ceux de Tras-os-Montes ont le plaisir. corps robuste, l'esprit méditatif, les moeurs austères des montagnards. Les gens de l'Estremadura sont mous, mais d'une politesse raffinée. Les fermiers et les pâtres de l'Alemtejo se font remarquer par leurs allures un peu sauvages, dues à un séjour prolongé au milieu des bois et des landes solitaires. L'Algarvien, le forestier de la serra de Monchique, le jardinier de Silves et de Faro sont poètes et beaux parleurs, d'humeur vive et joviale en mêmetemps. Il faut ajouter à cette liste le mélancolique Ribatejano, le Saloio des environs de Lisbonne, qui conserve le type des anciens colons normands établis là il y a sept ou huit siècles, et parmi les insulaires, le Madérien industrieux, l'Açorien méfiant, mais travailleur et d'une sobriété proverbiale.

Cirio de Nª Srª da Atalaia (Augusto Bobone 1825-1910)
C'est d'abord au point de vue physique que le Portugais se distingue le plus de l'Espagnol. En général, il lui est esthétiquement inférieur. On ne rencontre pas souvent chez les Lusitaniens cette tournure élégante et robuste à la fois, si fréquente au pays des toreros, et cette noblesse qui se reflète sur le visage des compatriotes du Cid, des faubouriens madrilènes aussi bien que des hidalgos de la Castille ou de la Navarre. Les Portugais sont pour la plupart de petits hommes trapus, dont l'allure, naturellement nonchalante, est encore alourdie par un précoce embonpoint, dans les cités du moins. La physionomie, elle aussi, ne rappelle que d'assez loin la classique beauté d'un Apollon ou d'un Antinous : les traits sont irréguliers, les lèvres épaisses. La teinte basanée de la peau se fonce encore sous les reflets bleutés des cheveux, de la barbe et des sourcils noirs comme du jais. En revanche, les yeux, très noirs aussi, sont vraiment beaux. Par l'éclat et l'expression langoureuse de leurs regards ils sont le charme de cette physionomie ingrate au premier abord, si terne et si mélancolique au repos, mais si vivante et si mobile sous le feu de la passion. Le fait est surtout remarquable chez les Portugaises dont les yeux humides et brillants sont superbes. Aussi bien, par suite du privilège commun à toutes les femmes de race blanche, les caractères anatomiques, toujours très accentués chez le sexe fort, se sont adoucis pour elles dans une mesure satisfaisante pour les exigences de l'esthétique.
De petite taille comme les hommes de leur pays, elles sont très bien proportionnées, potelées à souhait, et le contraste est piquant de leurs formes opulentes avec les attaches menues de leurs mains et de leurs pieds d'enfant. Leurs traits sont agréables. Leur lourde et ténébreuse chevelure s'harmonise bien avec leur teint d'ambre mat, parfois d'une blancheur laiteuse, légèrement rosée, comme celui des blondes. A toutes ces qualités s'ajoute une mine éveillée, tout en restant sérieuse, des manières pleines d'affabilité, soulignées par l'indéfinissable sourire qui se joue dans le retroussis des lèvres grasses.

Cirio de Nª Srª da Atalaia (Augusto Bobone 1825-1910)
Cet ensemble plutôt séduisant leur a valu ce compliment d'une voyageuse parisienne et partant bonne connaisseuse : « Le mélange de race orientale et occidentale a fait de la Lusitanienne, à la fois indolente et passionnée, une créature d'un charme infini dans sa grâce et sa gravité. » Au point de vue intellectuel et moral, le Portugais offre un singulier mélange de qualités et de défauts. Tous les voyageurs font l'éloge de sa politesse exquise, de son aménité et de son égalité d'humeur. Il est prévenant, très serviable. Son coeur surtout est excellent.

Il ne connaît pas la haine, ni même la rancune tenace. Parfois il s'emportera dans une discussion, mais on peut être sûr que dès le lendemain il reviendra le premier et tendra généreusement la main à son adversaire. Les guerres civiles du Portugal ont fait couler beaucoup de sang sur les champs de bataille, mais non sur l'échafaud.
D'ailleurs il a eu de tout temps l'homicide en horreur. Comme le rappelle Mme Edmond Adam, dans ce doux pays, il y a plus de suicides que d'assassinats.
Cette bonté naturelle du Portugais s'émeut aisément devant la souffrance des autres, si peu intéressants qu'ils soient parfois. On peut le constater tous les jours autour des établissements pénitentiaires, aux environs de Lisbonne. Les prisonniers occupent des cellules de plain-pied avec la rue, dont les sépare une simple fenêtre grillée aux barreaux assez espacés pour qu'on puisse y passer la main. Ils se trouvent ainsi en communication constante avec les passants, qui s'ingénient à les consoler, et ne se font faute de leur passer du tabac ou même quelques reis.

Cette bienveillance, pour ne pas dire cette tendresse d'âme, s'étend aux animaux. Suivant un dicton populaire au Portugal : "Celui qui n'a pas de compassion pour les animaux ne peut avoir de coeur." De nombreux abreuvoirs sont ménagés dans les villes pour les bêtes de somme, les chiens et les chats. Ces derniers sont gâtés entre tous, presque sacrés, comme dans l'ancienne Egypte. Aussi pullulent-ils dans les rues et les cours, allant et venant en toute liberté, et troublant du choeur de leurs miaulements le calme des belles nuits. Le Portugal a bien des courses de taureaux, mais ce ne sont que des jeux inoffensifs, n'ayant rien des répugnantes boucheries des corridas espagnoles, par ce motif que les taureaux amenés dans l'arène sont embolados, c'est-à-dire que leurs cornes sont garnies de boules de liège ou de caoutchouc, maintenues par une gaine ou des lanières de cuir.
(photo Augusto Bobone 1825-1910)
Le Portugais pratique vis-à-vis de l'étranger une hospitalité tout orientale. Le voyageur reçoit dans toutes les classes de la société un accueil aussi simple que cordial. Sa qualité d'étranger suffit pour lui ouvrir toutes les portes: il est convié aux fêtes de famille et admis facilement dans les cercles pendant tout son séjour. L'éclat de ces brillantes qualités du Portugais est malheureusement terni par un orgueil incroyable. Les vers des Lusiades chantent toujours dans l'âme portugaise. C'est un défaut de race et de climat. Très brave naturellement -les exploits de la légion lusitanienne à Wagram le prouvent élevé dans les traditions d'un passé glorieux et sorti des épreuves les plus difficiles sans aliéner son indépendance, le Portugais supporte avec peine les allusions à la douloureuse réalité de la décadence politique de son pays. Il a la susceptibilité facilement irritable des vaincus de la vie. Le bourgeois de Lisbonne ou de Porto aime en général plus à paraître qu'à être. D'une extrême sobriété, il consentira à vivre de légumes, de poisson et d'eau claire, à habiter un palais en ruine, ou une modeste villa sommairement meublée, mais il voudra toujours s'habiller à la dernière mode de Paris ou de Londres, avec un grand étalage de bijoux, chaînes d'or, chargées de breloques battant sur le gilet, et bagues à tous les doigts. Ainsi attifé, il se croit irrésistible et sa conversation comme son attitude donnent alors l'impression d'un homme parfaitement satisfait de sa personne. Le Portugais considère comme un déshonneur de tenir à la main un paquet, si léger fût-il. Qu'il achète le moindre bibelot, il ne manquera point de recourir à un commissionnaire pour le lui porter à domicile. Les classes inférieures ne sont pas exemptes de ce travers. Jamais un homme du peuple ne s'abaissera à devenir portefaix, à conduire une charrette à bras ou une chaise à porteurs Sa fierté de descendant des compagnons d'Albuquerque et de Vasco de Gama se révolte contre un pareil métier, bon tout au plus pour un Espagnol, un de ces Galiciens émigrés aux bords du Tage ou du Douro. A peine consent-il à servir comme domestique; encore dans ce cas les maîtresses de maison ont-elles de la peine à lui faire endosser la livrée : c'est une condition débattue dans beaucoup d'engagements, et parmi le peuple le nom de lacnio, laquais, est la plus sanglante des injures. Réduit à la misère, l'ouvrier, comme le bourgeois, préfère encore quitter la métropole pour aller aux colonies ou au Brésil, gagner son pain loin des regards des anciennes connaissances. Il ne s'y résout d'ailleurs qu'à la dernière extrémité, car le plus incurable défaut des Portugais du XIXe siècle est l'apathie.
Vendeuse de lait (Augusto Bobone)
Le farniente est ici la loi suprême des populations urbaines.
Cette répugnance pour l'action se traduit dans la rareté des gestes, dans la nonchalance de la démarche. Passer des après-midi entiers, soit au club, soit dans les pharmacies, qui, en maint endroit, jouissent encore du privilège de servir de lieux de réunion et de halles aux nouvelles, soit au café où, pour quelques réis, quelques centimes, on peut rester indéfiniment attablé devant un verre d'eau glacée, flanqué obligatoirement du palito, ou cure-dent à bouts en biseau, est une habitude dont la satisfaction quotidienne suffit au bonheur de tout citadin portugais. Les distractions sont d'ailleurs si rares pour lui! En dehors du café, il n'y a guère que le cyclisme et le foot-ball pour les classes levées de la société. Quelques fêtes privées ou publiques apportent aussi une diversion à sa vie monotone : la fête nationale du 1er décembre (date de l'affranchissement de la domination espagnole en 1640); le carnaval, avec ses masques déambulants par les rues, ses Danses de la lutte et ses descentes aux bals des carrefours; la Noël, avec ses tables de famille où se prélasse le peru, qui n'est autre que le traditionnel dindon de la Christmas anglo-saxonne. Il n'y a de galas et de réceptions que dans l'aristocratie. Les théàtres de la capitale sont toutefois assez fréquentés, surtout le Théâtre-Lyrique, car les Portugais sont, en général, des dilettanti passionnés. A ce sujet, un touriste français, rédacteur aux Débats,a relevé une particularité intéressante pour ses compatriotes : les oeuvres littéraires françaises obtiennent un grand succès à Lisbonne. En novembre 1897, on y jouait tous les soirs Madame Sans-Gêne, et au théâtre de la Trindade, LaViede Bohême,devant une salle pleine. Les Deux Gosses,de P. Decourcelle, ont fait verser des torrents de larmes chez les Portugaises. D'ailleurs, sans parler des ouvrages sortis des presses parisiennes qui s'étalent aux vitrines des libraires, les feuilletons des journaux à un sou sont généralement signés : Montépin, Richebourg, Jules Verne, etc.
Ces écrivains sont aussi populaires sous le toit du bourgeois portugais que dans les loges de concierge et les ateliers de couture de Paris.
vendeurs de journaux 1914
Ils sont deux fois les bienvenus auprès des Portugaises, car la vie extérieure existe encore moins pour elles que pour les hommes. Elles jouissent maintenant, il est vrai, de la liberté de sortir seules, mais si la réclusion des femmes, coutume mauresque remarquée de tous les voyageurs anciens, n'a plus force de loi, elles en ont du moins conservé l'habitude et sont restées d'humeur casanière. Elles y sont portées dans les classes supérieures de la capitale par leur éducation sévère et soignée, généralement confiée à des étrangères. Beaucoup de jeunes filles ont leur institutrice particulière, le plus souvent française. Mais la plupart sont élevées dans les couvents de Bom Successo et de Salesias, dirigés par des Anglaises et des Irlandaises. Elles s'y préparent de bonne heure à la vie sérieuse et familiale. Sous le tiède climat du Portugal, l'amour naît si vite au coeur des filles! C'est par les yeux qu'il y pénètre. Il suffit souvent de quelques oeillades pour l'éveiller. L'oeillade portugaise. l'olhadella, n'a rien de commun avec la rapide et pénétrante oeillade à la française, la brûlante ojeada espagnole, même les langoureuses ochiate italiennes, toutes d'une expression relativement discrète. Le Portugais ne connaît pourtant pas de meilleure manière de déclarer son amour.
(photo Augusto Bobone)
Il passe et repasse, en multipliant les olhadellas, devant les fenêtres de la jeune fille que son coeur a élue. Celle-ci ne se trompe jamais sur le sens d'une pareille mimique, et quand son coeur a consenti à répondre à l'appel, elle laisse son prétendant s'accouder quelque soir à son balcon pour échanger avec elle les aveux des lèvres. Les billets doux ne font qu'achever la conquête, et les parents n'interviennent qu'ensuite. Cette coutume, d'apparence scabreuse, est admise et respectée par tous. Puis, l'amour ne s'écarte guère ici des voies permises. Les mariages sont précoces. Cette vieille institution du mariage, si décriée par certains jongleurs de paradoxes, est fort en honneur dans toutes les classes de la population portugaise. Le célibataire est l'exception. Les faux ménages sont rares et mal vus. S'il y a quelque chose de vraiment grand et de sympathique chez les Portugais, c'est assurément le culte du foyer domestique et la puissance de l'esprit familial. Une autre particularité de moeurs, très curieuse, et qui semble en contradiction avec la protection jalouse de la famille, c'est que les enfants naturels ne sont pas méprisés. L'épouse accepte souvent ceux de son mari, la société les reçoit et la législation les admet à la succession paternelle au même titre que les enfants légitimes. Les Portugais n'oublient pas que Jean Ier, le chef de la dynastie d'Aviz, était un bâtard, et que cela ne l'a pas empêché d'être un de leurs meilleurs rois. Les décès donnent lieu aussi à quelques remarques intéressantes. A la mort d'une personne, en dehors des lettres de faire part, on publie des annonces dans les journaux.

A Lisbonne et dans les autres villes importantes, si le défunt appartient à la noblesse ou à la bourgeoisie, son corps est exposé dans le salon, et la famille reste dans une autre pièce maintenue à moitié obscure, où elle reçoit les condoléances des invités. L'usage la dispense de suivre le convoi mortuaire. Toutefois, le père peut accompagner le corps de son enfant au cimetière. Le corbillard ordinaire est une sorte de cabriolet à deux roues, attelé de deux mulets et muni de brancards très longs. Le cercueil, recouvert d'une étoffe jaune rayée d'argent, est placé sur ces brancards, entre la croupe des mulets etle tablier de la voiture. Pour peu que la famille soit riche, on se sert d'un char massif à quatre roues, avec un dais orné aux coins d'anges d'or et d'argent; un attelage de mules caparaçonnées et conduites par un postillon habillé à la française. Les enterrements civils sont rares.
Attelage de boeufs "carqueja" 1914
Cependant l'anticléricalisme et même l'irréligion règnent dans les villes du Portugal. Les couvents d'hommes ont été supprimés depuis 1834. Le clergé séculier n'est guère considéré. On ne rencontre presque jamais de prêtres en soutane dans les rues de la capitale. Au reste, leur vie diffère peu de celle des laïques. Ils fréquentent le monde et même les théâtres. Quelques-uns se créent même tout doucement et très discrètement un foyer.
On le sait et les cérémonies du culte n'en comptent pas moins de nombreux assistants. Il est vrai qu'elles sont célébrées avec une pompe bien propre à attirer la foule et à séduire son imagination. Et puis, comme l'a remarqué un touriste français, bon observateur, M. Hugues Le Roux, « s'il y a un lieu qui soit vraiment gai à Lisbonne, c'est l'église ». On y retrouve les mêmes frémissements, les mêmes rumeurs, les mêmes rires sonores, les mêmes entretiens amoureux plus ou moins discrets, que sur la voie publique. Cela se voit surtout au moment des processions. Elles se renouvellent souvent; sans parler de celles de la Fête-Dieu et du Sacré-Coeur, il y a les cirios, ainsi appelés des nombreux cierges allumés que comportent ces théories symboliques. Chaque église a dans son patrimoine des images saintes plus ou moins richement habillées et des reliques plus ou moins authentiques, et elle est autorisée à les faire défiler une fois par an à travers la ville, dans un but de lucre et de réclame autant que de dévo1tion, car les oboles des fidèles et la quête qui suit quelquefois la procession constituent la principale ressource de son budget. L'indolence et l'orgueil des Portugais leur défendant les oeuvres serviles et surtout les gros travaux ; ce sont des Espagnols émigrés, les gallegos,qui s'en chargent.
Porteuse d'eau (Augusto Bobone 1825-1910)
Originaires, comme leur nom l'indique, des montagnes de la Galice, les gallegos sont les Auvergnats du Portugal. Ils les rappellent par la largeur de la face, la solidité de la carrure, la rusticité des manières et du langage, l'énergie laborieuse, l'esprit d'économie et le genre d'industrie..Ils sont parfois garçons de restaurant ou domestiques, mais ils ont la spécialité des métiers pénibles : commissionnaires, portefaix, porteurs d'eau. Le fier Portugais n'a que du dédain pour ces rudes travailleurs. « Gallego» est pour lui à la fois synonyme d'homme de peine et de goujat. Traiter de gallego un habitant des bords du Tage, c'est lui faire le plus sanglant outrage. Le gallego sait d'ailleurs rendre à ses maîtres la monnaie de leur mépris. « Pocos y locos. Ils sont peu et fous », dit-il. Ces montagnards forment dans les villes des colonies plus ou moins nombreuses qui ne se mêlent jamais aux indigènes et occupent un quartier spécial. Ils vivent et se marient entre eux et se hâtent de regagner leur pays natal dès qu'ils ont amassé un petit pécule. La plupart étaient il y a quelques années agoadeiros, porteurs d'eau.
C'étaient eux qui, après avoir puisé l'eau aux fontaines de la ville, la distribuaient dans chaque maison. Du matin au soir, on les voyait parcourir successivement chaque quartier, en promenant sur leur dos leur baril, peint de couleurs vives et flanqué de gobelets d'étain, et en criant sans cesse: Agoa ! Agoa!
Cirio de Nª Srª da Atalaia (Augusto Bobone 1825-1910)
Aujourd'hui presque toutes les maisons sont servies par la Compagniedes eaux et l'agoadeiroest presque disparu. Une autre classe intéressante au point de vue social, est celle des pêcheurs. Ils sont organisés en corporations (comcommun et se partagent les bénéfices de leur pêche. Leur coutume romantique met une note gaie dans les ports. Il ressemble beaucoup à celui du pêcheur napolitain : culotte blanche laissant voir les jambes nues; chemise au col évasé, serrée à la taille par une ceinture rouge et protégée en temps de pluie par un manteau appelé gabâo; bonnet de laine rouge : ainsi sont habillés les pêcheurs d'Espinho, de la ria d'Aveiro, d'Ovar, de la Povoa de Varzim, de Villa do Conde.
Mais de tous les types populaires du Portugal, le plus original est encore la varina, auxiliaire du pêcheur et compagne du gallego. Les varinas, dit M.René Bazin(1), révèlent une communauté d'origine, un type primitif au teint brun, aux yeux longs et très noirs, qui se rattache, croit-on, à une souche phénicienne. La plupart viennent de deux villes du littoral, Aveiro et Ovar, .d'où leur nom de varinas ou ovarinas. Jolies filles quelquefois, belles filles presque toujours, les varinas sont porteuses de pain, marchandes d'oranges et de marée, suivant les localités. C'est à Porto que leur condition est la plus dure : elles aident les gallegos à décharger les bateaux de charbon, à transporter aux chantiers le plâtre, le mortier et les pierres. Une charge de cinquante kilos ne les effraie pas. Elles la portent en équilibre sur leur tête garnie d'un coussinet. A Lisbonne, elles vendent du poisson.
A peine une barque a-t-elle accosté au quai de la Ribeira Nova, les varinas accourent, se hâtent de s'approvisionner , puis, après avoir disposé méthodiquement dans leur panier, long et plat comme un van, les poissons argentés et frétillants, elles se dispersent à travers la ville en criant d'une voix aiguë : Campall fresco! Sardinha a saltar viva ! Elles vont les mains à la taille, la tête droite, le regard fixe, la gorge pleine et tendue, avec une légère ondulation des hanches qui rythme leur marche robuste et s'harmonise avec la souple cambrure de leurs jambes et de leurs pieds nus sous la robe haut relevée. Un foulard de soie aux pointes flottantes et un petit chapeau à bords arrondis leur servent de coiffure. Sur leur poitrine se croise un fichu multicolore.
Les jupes courtes, de couleur rouge, jaune ou bleue, sont serrées au-dessus des hanches et rendues bouffantes par une ganse ou un tortillon de laine noire. Il en résulte un anormal épaississement de la taille, des plus choquants chez des femmes d'une beauté plastique aussi achevée. Une autre grave faute de goût chez les ovarinas, c'est leur étalage de joaillerie. L'amour du clinquant, général au pays portugais, dégénère chez elles en monomanie. Elles aiment à se parer comme des châsses et amonceler sur la poitrine de véritables panoplies de bijoux d'or vrai ou faux, à l'éclat miroitant et au cliquetis sonore: anneaux, broches, épingles, colliers, croix, chaînes à triple et quadruple rang de mailles se croisant sur toute la largeur du buste, coeurs volumineux comme ceux des autels de la Nossa Senhora.
(photo Augusto Bobone 1825-1910)
Il y en a souvent pour plusieurs milliers de francs, amassés réis par réis, au prix des plus dures privations. Plus les bijoux sont gros, plus elles sont contentes. La lourdeur de ces ornements, il est vrai, n'est qu'apparente ;la plupart, admirablement ouvragés. sont en filigrane ou en métal ajouré à l'emporte-pièce. Les qualités physiques et morales qui caractérisent le Portugais des villes se retrouvent à un degré plus marqué chez les ruraux.
Leur anatomie s'est avantageusement modifiée sous l'influence de la vie active au grand air. Si la taille est restée médiocre, l'obésité a disparu.
Les vignerons du Douro, les laboureurs du Minho, les fermiers de la Beira n'ont rien de commun avec certains paysans de l'Europe centrale, au corps alourdi et déprimé par les besognes lentes et pénibles de la glèbe. Ce sont tous des gaillards bien découplés, vigoureux autant qu'agiles, au maintien droit et fier. Leurs femmes sont aussi plus gentilles que partout ailleurs, avec plus de sveltesse dans l'allure, malgré la rondeur parfois épaisse de la taille et les renflements puissants de la gorge et des reins. Quelques-unes sont très belles. « J'ai vu, dit Mme Rattazzi, telle fille du peuple, ferme sur ses hanches, marchant pieds nus devant son attelage de boeufs, avoir ce que nous appelons un port de reine. »
Cirio de Nª Srª da Atalaia (Augusto Bobone 1825-1910)
Le costume de l'un et de l'autre sexe contribue d'ailleurs à faire ressortir ces divers avantages naturels. Chez les vieillards, il se réduit souvent au brayet et au gilet de toile ou de gros drap sombre, avec le bonnet de laine du pêcheur et du gallego.
Encore ne le portent-ils qu'en semaine. Le dimanche tous les hommes sont habillés d'une veste ornée de boutons de métal.d'une culotte retenue par une ceinture de laine rouge ou bleue et d'un chapeau de feutre épais aux larges bords retroussés. Mais en Portugal, comme dans tous les pays européens, c'est chez les paysannes que le costume local a le plus de fidèles. Le corsage est formé d'une sorte de boléro rouge ou noir, ajusté par deux boutons d'argent sur la poitrine, elle-même recouverte d'une chemisette d'un blanc éclatant, parfois d'un fichu fort empesé, qui se noue sous le menton. La jupe en drap, en indienne, en serge, est plissée à plat, et garnie au bas d'un ou deux rubans de velours. Toujours courte, elle forme, comme chez les ovarinas, un énorme bourrelet au-dessous de la ceinture. La coiffure est tantôt un chapeau à grandes ailes, tantôt une sorte de toquet (capote), agrémenté de pompons, et garni par derrière d'un lencoou mouchoir de mousseline brodée tombant sur les épaules. Ce costume est surtout en honneur parmi les femmes des environs de Porto, du Minho, de Valongo et de Santo-Thyrso.
La passion des bijoux n'est pas moins vive qu'à la ville : elle est particulièrement développée chez les Minhotos. L'architecture de la maison du paysan portugais varie suivant les contrées. D'aspect plutôt misérable dans l'Alemtejo, un peu plus soignées dans l'Algarve, les fermes donnent dans le Nord une impression d'aisance et de gaieté avec leurs solides murs en granit et leurs toits de tuiles rouges. Les bâtiments sont disposés en quadrilatère autour d'une aire pavée, souvent ombragée par une treille. Au rez-de-chaussée se trouvent les étables et la grange. Au premier étage les appartements de la famille. Dans un coin de la cour s'entasse la bruyère destinée à la litière des animaux. Sous un hangar s'alignent les chars rustiques : véhicules primitifs aux essieux formés de grossières traverses, aux roues pleines rappelant celles des chariots mérovingiens, ou coupées de deux épais rayons. Ils sont traînés par des au boeufs, pelage fauve, à l'encolure puissante, aux cornes démesurées comme celles des boeufs de la campagne romaine.
Ce qui ajoute au pittoresque des attelages, ce sont les jougs des animaux : ils sont formés de hautes planches verticales, ornées de sculptures à jour dont le dessin est aussi original que délicat. L'alimentation des gens de la ferme est des plus sommaires, comme dans tous les pays du Midi.

Berger (Augusto Bobone 1825-1910)
Elle se compose presque exclusivement de riz et de poisson, notamment de sardines et de morue (bacalhau). Elle est souvent réduite à sa plus simple expression; beaucoup de paysans vivent d'un morceau de pain de maïs avec un oignon et une sardine; une orange en hiver, ou deux figues en été. Sauf pour la morue, qui se prépare de mille façons, la cuisine est des plus simples. L'huile d'olive en forme le fond. Le mets préféré est l'assonla. C'est, on peut le dire, le plat national du paysan lusitanien, comme le roastbeef pour l'Anglais, la saucisse- choucroute pour l'Allemand, la polenta ou le macaroni pour l'Italien, l'olla-podrida pour les Espagnols. Mais, au rebours de ces spécialités culinaires qui sont admises sur toutes les tables européennes, l'assorda ne peut guère être tolérée que par le palais et l'estomac éprouvés d'un indigène de l'Alemtejo ou du Tras-os- Montes. Et cela se comprend : l'assorda est une soupe épaisse qui se mange presque froide et où il entre du pain, de l'eau, de l'huile, du vinaigre et de l'ail.

La boisson ordinaire du villageois comme du citadin est l'eau fraîche. L'un et l'autre en absorbent des quantités exagérées, et c'est là, suivant les physiologistes, une des causes principales de cette obésité si fréquente dans les agglomérations urbaines du Portugal.
L'usage du thé, particulièrement le thé vert, est aussi très répandu ici, autant que le chocolat en Espagne. Le vin ne vient qu'après : on en vend beaucoup, on en consomme peu. Le cultivateur portugais ne déroge à ses habitudes de frugalité et ne touche à la viande que dans les grandes circonstances de la vie. Alors même il se contente de lard aux choux. Il faut une occasion exceptionnelle, quelque fête carillonnée pour qu'il aille jusqu'au poulet bouilli, ce grand régal du bourgeois lisbonnais.
On ne donne guère de fêtes, il est vrai, dans les campagnes. C'est là seulement que l'on peut saisir sur le vif cette gaieté des Portugais, exagérée par certains vaudevillistes parisiens.
Défendu par sa vie laborieuse contre ce pessimisme et cette mélancolie que l'inaction et l'abus de la sédentarité engendrent chez un grand nombre de citoyens de Lisbonne ou de Porto, le paysan arrive à donner carrière à son humeur joyeuse.
Les occasions de divertissement ne lui manquent pas : sans parler des foires, qui sont des réunions de plaisir autant que de commerce, des réjouissances nationales si familiales comme la Noël, il a ses fêtes spéciales, fêtes patronales ou fêtes purement rustiques. Parmi ces dernières, la plus ancienne et la plus populaire est la ceifa, ou fête du maïs, qui a lieu lors de la récolte de cette plante. Le maïs fauché dans la journée est apporté dans la cour de la ferme, où tous les voisins sont invités à venir passer la soirée pour séparer la paille de l'épi.
Ovarinas 1908
Les femmes sont assises en cercle, ayant devant elles chacune une corbeille où elles égrènent le maïs apporté par les hommes. Lorsque dans sa brassée un homme trouve un épi rouge, il peut l'offrir à une fille jeune qui l'en remerciera par un baiser. Le travail est encore égayé par des chants accompagnés avec la guitare, la mandoline ou la viola. Chaque homme ou femme à tour de rôle chante une chanson dont toute la compagnie reprend le refrain en choeur. Puis, quand tout le maïs est égrené, les danses commencent et elles durent souvent jusqu'à l'aurore. Ces ébats musicaux et chorégraphiques sont fort goûtés de la jeunesse rurale. Elle y consacre les beaux après-midi du dimanche, soit dans les cours de ferme, soit sur la place du village. Les danses préférées sont le boléro, « pas de deux » amoureux et gai, le sensuel fado, danse rivale de la cachucha andalouse, le tendre landum chorado, la canninha verde,etc. Les chants populaires témoignent de la distinction d'esprit et du sens éminemment poétique du paysan portugais. Sous ce rapport, il n'a pas son pareil en Europe. Tantôt le virtuose se borne à chanter un de ces fados,ou « chansons à la destinée », qui célèbrent avec des variantes de circonstance les divers événements de la vie privée, familiale ou même politiques, tantôt il se plaît à développer en le rajeunissant quelque vieil air lusitanien. Il sait improviser de toutes pièces un récit interminable, chef-d'oeuvre de verve et d'imagination. Quelquefois il entame ce que l'on appelle une chanson par défi (aodesafio),sorte de tournoi poétique entre jeunes gens et jeunes filles. Un des jouteurs lance un vers; l'un quelconque des auditeurs lui donne la rime, un troisième reprend et les couplets succèdent aux couplets indéfiniment. Tous ces chants se distinguent par la grâce plaintive de la mélodie aussi bien que par le choix du sujet et des mots. Ici, le dernier des rustres sait parler comme un homme du monde; il saisit avec un art merveilleux les moindres nuances de cette langue de Camoëns si riche en y expressions douces et tendres. La ceifa est une fête privée d'un genre tout idyllique. Les fêtes patronales ou romarias ont un caractère demi-religieux, demi-profane, qui rappelle les pardons ou pèlerinages bretons. Elles ont lieu autour des chapelles du saint, patron de la localité , saint Pierre, saint Jean, saint Antoine, pour ne citer que les plus honorés après la Vierge.
Les romarias durent souvent plusieurs jours et attirent des milliers de pèlerins, qui au besoin ne craignent pas de coucher à la belle étoile. Le programme comporte, en général, une messe solennelle, un sermon, et une procession, puis les attractions ordinaires des fêtes foraines, baraques de saltimbanques et petites boutiques, des bals et concerts en plein vent, et forcément un feu d'artifice; car les Portugais sont grands amateurs de pyrotechnie, et les foguetes,les fusées, ont particulièrement le don de surexciter leur enthousiasme. « L'une des romarias les plus célèbres est celle de Notre-Seigneur de la Pierre, près d'Espinho, qui a lieu le jour de la Trinité.
Pêcheurs de Figueira da Foz 1917
La chapelle est construite au sommet d'une falaise à laquelle on accède par des chemins ombreux. L'après-midi, après la procession, la fête bat son plein : alors rien n'est plus pittoresque que ces milliers de pèlerins des deux sexes revêtus de leur costume local, les uns dansant par groupes au son de la guitare les vieilles rondes du pays, les autres arrêtés le regard fixe, l'oreille tendue devant les estrades où s'égosillent les fadistas, ou chanteurs de fado, la plupart assis autour des chars à boeufs remplis de pastèques, auprès des tentes de grosse toile d'où s'échappent des odeurs de friture, et qui montrent le bel alignement de leurs tables chargées de bouteilles de maduro, de vin vert d'Amarante ou de Monsâo, et de pâtisseries variées : pains de loth, biscuits de Savoie, gâteaux de Paranhos (1)». L'habillement et les moeurs des habitants de Madère et des Açores ne ressemblent pas, tant s'en faut, à ceux du continent.
Intellectuelles portugais 1889 (photo Augusto Bobone 1825-1910)

Dans les îles de Saint-Michel et de Terceira les femmes s'affublent d'un manteau de drap noir, descendant jusqu'aux talons et muni d'un énorme capuchon qui enveloppe toute la tête et laisse à peine entrevoir la figure. A Madère, ce vêtement de coupe monastique n'aurait aucun succès. Les femmes vont pieds nus et bras nus. Leur costume est assez coquet : jupon court de laine bleue à frange jaune ou rouge, corsage noir, lacé et entr'ouvert par devant et brodé d'une rangée de boutons de métal.
Le détail le plus caractéristique chez les gens du peuple est le petit bonnet noir et pointu, en forme d'entonnoir renversé, que tous, hommes et femmes, portent sur le sommet de la tête. Une dernière et très originale particularité de la vie madérienne, ce sont les moyens de transport : le filet, sorte de long hamac garni de rideaux, et soutenu en haut par une longue flèche horizontale dont les extrémités s'appuient sur les épaules des porteurs au nombre de deux; le large traîneau à baldaquin, traîné par des boeufs et le carro do monte, autre traîneau plus étroit qui sert à descendre les côtes et que deux hommes retiennent sur la pente au moyen de cordes fixées à l'avant de chaque côté de la caisse.

 Le Portugal géographique, ethnologique, administratif, économique, littéraire, artistique, historique, politique, colonial, etc., par MM. Brito Aranha, Christovam Ayres, Teixeira Bastos, Daniel Bellet, Cardozo de Bethencou.... 1900.







Exposição Pecuária Nacional à Lisbonne Photo de 1888

Exposição Pecuária Nacional à Lisbonne Photo de 1888


Lisbonne 1907
vendeur d'eau 1907
vendeur d'eau 1907 Lisbonne
Lisbonne 1914
Lisbonne 1914
Café brazileira à Lisbonne  photo de 1911

Vente ambulante de dindes à Lisbonne (1891). Foto. Negatif de gelatine et argent sur verre (9cm x 12cm). Augusto Bobone (1852-1910) 
Chariot de lavandières. Augusto Bobone (1852-1910) - AML

Maçons dans une rue de Lisbonne. Augusto Bobone (1852-1910) - AML
Kiosque de vente de boissons.  Augusto Bobone (1852-1910) - AML
Feira da Ladra. Brocante à Lisbonne. Augusto Bobone (1852-1910) - AML

"Feira da Ladra" photo de Bobone de 1909
Enterrement Photo autour de 1900


Source des images :
http://digitarq.dgarq.gov.pt/
http://www.matriznet.dgpc.pt/MatrizNet/Entidades/EntidadesConsultar.aspx?IdReg=70610
http://purl.pt/index/geral/PT/index.html
http://arquivomunicipal.cm-lisboa.pt/pt/contactos/arquivo-fotografico/
http://www.arqnet.pt/index.html
http://hemerotecadigital.cm-lisboa.pt/Periodicos/BrancoeNegro/BrancoeNegro.htm
http://www.matrizpix.dgpc.pt/MatrizPix/Home.aspx

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