Les Arabes au Portugal (711-1249)

Le trône de Rodéric, renversé par la main des Arabes, tomba sans violente secousse. La Lusitanie la ressentit à peine, et ce ne fut qu'après la conquête de toute la portion de pays qui s'étend depuis la Méditerranée jusqu'aux Pyrénées qu'Abdelazis, fils de Moussa , entreprit de soumettre les provinces de l'ouest; et celle conquête, qu'il fit en personne, ne lui coûta guère que de se montrer, tant la présence des Arabes inspirait de terreur aux indigènes (714-15).

Lorsque le dernier émir arabe, Jussef-el-Fehri voulut procéder à une nouvelle répartition du territoire espagnol, il en forma cinq grandes provinces:
Cordoue, Baza, Mérida, Saragosse et les Pyrénées. La troisième, Mérida, que les Arabes nommèrent Maréda, comprenait toute l'ancienne Lusitanie et la Galice ; elle renfermait les villes de Maréda, capitale, Baracaro (Braga), Lesclibuna (Lisbonne) , Portokal (Porto), Lek (Lugo) , Eschtorka (Astorga), Balaljos (Badajoz), Elbora (Evora). Un Wali ou gouverneur général administrait chaque province ; les commandants des places fortes s'appelait Alkaydes. Le siège du gouvernement, la résidence de l'émir de qui tous les Walis relevaient, était fixé à Cordoue. Cette division subsista, après que l'arabe Abderahman, seul rejeton de la racé des anciens Califes Ommeiahs, eut détruit en Espagne l'autorité des Ahbassides, dépossédé l'émir et fondé un nouveau Califat qui, quelque temps après lui, reçut le nom de califat d'Occident ou de Cordoue.

Tranquille possesseur du trône qu'il venait d'élever. Abderahman visita toutes les villes de l'Ouest (786) , construisit partout des mosquées, et fit au surplus tout ce qui dépendait de lui pour rendre le joug musulman léger aux peuples soumis. La Lusitanie continua d'être une dépendance du gouvernement de Mérida. La nouvelle division de l'Espagne, en six provinces, Cordoue non comprise, laissait subsister ce gouvernement important.

Alphonse-le-Chaste, roi des Asturies, attaqué dans les montagnes par les musulmans, remporta sur eux une victoire signalée. Sept mille de ces derniers restèrent sur le champ de bataille, et Alphonse, profitant de la terreur qui avait saisi les musulmans, descendit dans la Lusitanie, arriva jusqu'au Tage, et planta ses drapeaux sur les murs de Lisbonne. Il y fit un butin immense et cette conquête lui parut à lui même si glorieuse , qu'il envoya des ambassadeurs à Charlemagne pour la lui annoncer. Malheureusement il ne la garda pas longtemps, et bientôt après il eut assez de peine à repousser les musulmans à Zamora.

Vers le milieu du IXe siècle (843), les Normands parurent avec soixante ou quatre-vingts bâtiments d'abord devant la Corogne, ensuite devant Lisbonne, qu'ils tinrent assiégée pendant treize jours. Ils ne purent prendre la ville, mais ils se vengèrent sur la campagne des environs et les villages voisins. A l'approche des troupes musulmanes, ils se retirèrent; ce fut pour aller reparaître sur la côte de l'Algarve. L'année suivante, ils revinrent à la charge, remontèrent la Guadiana et le Tage , menacèrent de nouveau Lisbonne et Coïmbre.

En 862, tandis qu'Almondlir guerroyait dans la province d'Alava , le roi Ordogne, sortant de la Galice, envahit la Lusitanie, où il brûla la ville de Cintra et beaucoup de villages, depuis le Duero jusqu'au Tage. Ces invasions se renouvelèrent les années suivantes.

Siège de Lisbonne

La Lusitanie jouit toutefois d'un siècle de paix. Ses habitants, adonnés à la culture des terres, et placés à une extrémité de 1'Espagne, semblaient étrangers à tous les événements qui agitaient les provinces centrales et orientales ; mais après ce long intervalle de repos, l'apparition des Normands vint faire naître de nouvelles alarmes; ils débarquèrent près de Lisbonne, mais les habitants coururent aux armes, et les pirates, remontant sur leurs bâtiments, s'éloignèrent à la hâte, de sorte que les vaisseaux envoyés contre eux ne purent les atteindre.

La fin du X siècle, depuis 976 jusqu'à 1002, fut une époque de guerres sanglantes. Le fameux Almanzor,qui n'était que ministre (hadgib) du calife de Cordoue, mais qui réellement avait toute l'autorité dans ses mains , nourrissait contre les chrétiens une haine profonde, exaltée par le fanatisme religieux. Il avait juré d'exterminer les princes chrétiens ou de périr lui-même. Il périt, mais ce né fut qu'après vingt-cinq années d'une guerre cruelle. La Lusitanie en souffrit peu , mais les provinces du nord furent plus d'une fois dévastées. La mort de ce fougueux musulman ne rendit pas la paix à l'Espagne.
Son fils Abdelmelik lui succéda et continua la guerre contre les chrétiens ; mais , après six ans de règne, car on peut donner ce nom au temps de son administration , il fut empoisonné. Son frère Abderahman fut tué dans une émeute au bout de quatre mois, et , depuis ce moment, les factions diverses qui s'étaient formées, se disputèrent le pouvoir, le fer et la flamme à la main.

Les Walis des provinces , les commandants des places fortes profitèrent de ce temps de troubles pour acquérir l'indépendance. Dans la Lusitanie, les walis de Niebla , de Lisbonne, de Badajoz ne reconnaissaient plus de supérieurs : l'anarchie était au comble Le roi do Léon, Alphonse V, de son côté, reculait ses fontières ; Zamora fut reconstruite, et les limites de son royaume furent reportées au delà du Duero, Il alla même mettre le siège devant la forte place de Viseu , à peu de distance du Mondégo. Un jour qu'il faisait le tour de la ville à cheval, il fut aperçu des remparts, et on lança contre lui y ne flèche qui l'atteignit et le tua (1027).

Le roi Ferdinand Ier, qui déjà roi de Castille avait pris le Léon, la Galice, les Asturies , et toutes leurs dépendances, après la mort de Bermudes III, dont il avait épousé la soeur, et qui ne laissait point d'enfants, poussa ses conquêtes dans la Lusitanie, plus loin qu'Alphonse V. Il prit d'abord Lamégo et Viseu (1038) ; il s'empara plus tard de Coïmbre (1064), et de toutes les places que les chrétien? avaient perdues au temps d'Almanzor. L'émir de Badajoz (1) ne pouvait qu'à peine résister à ce prince, le plus puissant alors de toute l'Espagne.
Lorsqu'il mourut, il fit, comme l'avait fait son père Sanche-le-Grand, la IVule de diviser ses états entre ses enfants. Garcia, le plus jeune , eut la Galice et le Portugal, c'est-à-dire tout le pays compris entre le Minho et le Mondego, la moitié à peu près du Portugal actuel (1065) ; mais Sanche, roi de Castille, l'aîné des trois frères, ne tarda pas à déposséder Alphonse, qui avait le Léon et les Asturies (1071), et successivement Garcia, qui s'enfuit même sans combattre. Pour avoir l'entier héritage de son père , il ne manquait plus à Sanche que la forte place de Zamora que Ferdinand avait donnée à sa fille Urraque. Celle -ci s'enferma dans la place; Sanche en commença le siège qu'il convertit en blocus, désespérant de s'en rendre maître de vive force ; mais un assassin s'introduisit dans son camp, et le tua. Urraque et Alphonse furent fortement soupçonnés d'avoir fait commettre le crime.
La partie méridionale du Portugal, avec les villes de Béja,
Evora, Lisbonne , Silves , etc. , dépendait de l'émir de Badajoz et d'Algarve, Abdallah-ben-Alaftas. Il y avait encore au sud du Portugal un petit état -qui comprenait Ste.- Marie de l'ouest, et Oesonoba dans l'Algarve actuel. Cependant la puissance musulmane déclinait de plus en plus. Le morcellement du califat de Cordoue avait eu pour premier résultat l'affaiblissement de tous ceux qui avaient pris part aux dépouilles; et lorsqu'on vit Alphonse VI, qui, après l'assassinat de Sanche , était devenu son successeur, s'emparer de la très forte ville de Tolède, sans que les émirs voisins , et particulièrement ceux de Badajoz et de Séville eussent pu l'empêcher, on ne douta plus de la ruine prochaine de l'Islamisme.
L'émir de Séville, voulant prévenir le malheur qu'il prévoyait, prit le parti désespéré, contre l'avis de son fils et de quelques hommes sages, d'appeler en Espagne le chef puissant des Almoravides d'Afrique, Jussef-ben- Taxfin, qui venait de fonder l'empire de Maroc. Jussef saisit avec empressement l'occasion d'étendre sa domination , sous les apparences perfides d'un auxiliaire.

Après s'être fait remettre la ville et le port d'Algéziras, qu'il fortifia avec soin, il traversa le détroit avec une armée immense à laquelle s'unirent les troupes de Séville, celles de Badajoz, de Cordoue, et de tous les émirs musulmans. Alphonse, de son côté, fit un appel à tous les princes chrétiens; et quand toutes les troupes furent réunies, il les conduisit à la rencontre des Andalous et de leurs féroces auxiliaires. La bataille fut livrée à quelques lieues de Badajoz, dans la plaine de Sacralias, que les Arabes appellent Zalaca ; et c'est ce nom qui, même en Espagne, a prévalu pour désigner cette journée funeste où, après des efforts inouis de bravoure , Alphonse essuya une défaite complète (23 octobre 1086).

Le désastre de Zalaca ne fit point perdre courage au roi de Castille ; et, dès l'année suivante, il fut en état, non-seulement de tenir la campagne, mais encore de forcer l'armée ennemie à se disperser (1090). D'un autre côté, la mésintelligence se mit entre les émirs espagnols; et bientôt les Espagnols eux-mêmes et les Almoravides devinrent ennemis; car Jussef cessant de dissimuler, manifesta l'intention de mettre fin à la domination des émirs, qui furent tous dépossédés les uns après les autres. L'émir de Séville, qui avait appelé ces farouches Africains, chargé de fers et transporté au Maroc, alla expier son imprudence dans un cachot, dont les portes se refermèrent sur lui pour toujours.

Un général de Jussef, Syr-ben-Bekir, fut chargé de soumettre l'Algarve et le Portugal, dont l'émir Omar-ben-Alaftas résidait toujours à Badajoz. Xelva, Evora, et plusieurs autres places tombèrent au bout de quelques jours. Aben-Alaftas rassembla promptement ses troupes pour repousser l'invasion; mais la fortune était déclarée en faveur des Almoravides. L'émir subit une défaite d'autant plus meurtrière qu'il avait fait de plus grands efforts pour arracher la victoire aux Africains. Ses deux fils furent faits prisonniers, et lui-même fut contraint de s'aller renfermer dans Badajoz, où il ne tarda pas à être assiégé. Il régnait alors parmi le peuple andalous une sorte de terreur panique née d'une prétendue prophétie, suivant laquelle un conquérant africain devait subjuguer tous les émirs espagnols; il croyait le moment venu, et il jugeait la défense inutile. Aussi, Omar-ben-Alaftas fut forcé par les habitants de Badajoz à capituler.

On lui avait promis qu'il jouirait de la faculté de se retirer librement, lui ,sa famille et ses partisans, et d'emporter tous ses biens mobiliers. Aussitôt après qu'Omar fut sorti de la ville , Syrben-Bekir la fit occuper par ses troupes ; puis il envoya un détachement de cavalerie à la poursuite du malheureux émir qu'on eut bientôt atteint. On commença par battre de verges le père et ses deux fils; ensuite on trancha la tête à ces derniers, et on l'immola sur les cadavres de ses enfants. Son plus jeune fils, qui était Wali de Santarem, fut jeté dans une prison, d'où il ne sortit pas (1094).

Ainsi finit la domination des Bcni-Alaftas sur le Portugal. Le cruel Jussef ne désapprouva pas la déloyale barbarie de son général. La fin tragique d'Omar a servi de sujet à un grand nombre de pièces de vers,,, qui toutes célébraient les vertus de l'émir, et le présentaient comme un exemple de l'instabilité de la fortune. Il paraît qu'Omar avait aimé, protégé et cultivé les sciences, les lettres et la poésie ; on lui reproche même d'avoir quelque fois négligé les affaires pour s'y livrer avec plus d'assiduité.
D. Afonso Henrique Prise de Santarem 1147

Ce fut après la ruine des émirs andalous, qu'Alphonse VI donna sa fille Thérèse au comte Henri de Bourgogne avec le Portugal pour dot. Avant cette cession, les rois de Castille nommaient aux villes de ce pays des gouverneurs d'un mérite éprouvé , tant pour y exercer le pouvoir en leur nom, que pour les défendre contre les attaques continuelles des musulmans ; mais, comme, à raison de l'éloignement du Portugal, il fallait que les gouverneurs eussent des pouvoirs très-étendus, plus qu'il ne convenait au roi de les donner de peur de voir ces gouverneurs viser à l'indépendance, Alphonse se décida sans peine à créer un comte qui deviendrait vassal de la Castille. Ce qui contribua sans doute à lui démontrer la nécessité d'avoir dans le Portugal, un comte dévoué, dont l'état servit pour ainsi dire de barrière aux musulmans qui voudraient attaquer le Léon, ce fut le souvenir des services qu'avait rendus le gouverneur Sisenand, qui avait pris le titre d'Alvasir dé Coïmbre.

Ce Sisenand né dans Coïmbre d'une famille opulente, avait été enlevé et emmené à Séville par l'émir de cette ville Aben-Abed. Comme il sut gagner par ses qualités l'estime des Maures, il conçut le projet d'obtenir la restitution de ses propriétés et ses idées s'agrandissant peu-à-peu, de délivrer son pays de la domination des musulmans. Le roi de Castille ( c'était alors Ferdinand père d'Alphonse) entra dans les vues de Sisenand qui dirigea l'expédition et fit preuve d'une grande habileté. Personne ne paraissait plus capable de conserver la conquête de Coïmbre que celui qui l'avait faite. Sisenand fut nommé gouverneur de tout le pays conquis, depuis Lamégo jusqu'à la mer. La seule obligation qui lui fut imposée ce fut de favoriser et d'encourager la culture des terres. Après la mort de Ferdinand, Alphonse confirma Sisenand dans son gouvernement, et Sisenand agrandit et embellit Coïmbre, restaura ou fortifia plusieurs châteaux et plusieurs places dont les Maures avaient abattu les murailles.
Sisenand réunissait au pouvoir de gouverner et de commander les troupes, celui d'administrer la justice; et c'était principalement dans ses fonctions de magistral qu'il prenait le titre d'Alvasir. En un mot, il jouissait presque des attributs de la souveraineté. Il s'en fallut même de fort peu que sa charge ne devînt héréditaire; car à défaut d'enfants mâles il eut pour successeur son gendre Martin Moniz, mais il paraît que celui-ci ne retint ses fonctions que de 1092 à l'année suivante; car, en 1094, on voit déjà le comte Raymond gendre d Alphonse, seigneur ou prince de Galice et de Coimbre.

Alphonse avait alors ajouté à Coimbre, Lisbonne, Santarem et Cintra. Raymond lui-même n'administra le Portugal que jusqu'à la fin de 1095, car dès le mois de décembre de cette année, Henri porte le titre de Comes Portugalensis. On n'a pas oublié que Henri, de la première maison de Bourgogne, avait épousé Thérèse, fille naturelle d'Alphonse VI. Raymond ne porte plus dans les chartes de ce temps que le titre de comte de Galice, et les frontières du Portugal furent reportées au Minho, telles qu'elles sont encore aujourd'hui de ce côté ; car à l'est et surtout au sud, ce ne fut que longtemps après que ce pays acquit des limites permanentes.

 Marlès, Jules Lacroix de (17..-1850?). Histoire de Portugal, d'après la grande histoire de Schaeffer et continuée jusqu'à nos jours par M. de Marlès,....

Aucun commentaire: