1528 bataille de Mombaça

Fort Jesus de Mombaça  1572
(...) Gama quitta le 29 mars cette ville inhospitalière et continua son voyage, tout en surveillant de près ses pilotes arabes, qu'il se vit obligé de faire fustiger.
 Le 4 avril, on aperçut la côte, et. le 8, on arriva à Mombaça ou Mombaz, ville que les pilotes affirmèrent être habitée par des chrétiens et des musulmans. La flotte jeta l'ancre devant le port, sans y entrer cependant, malgré la réception enthousiaste qui lui fut faite. Déjà les Portugais comptaient se rencontrer le lendemain à la messe avec les chrétiens de l'île, lorsque, à la nuit, s'approcha du vaisseau amiral une zavra montée par une centaine d'hommes armés, qui prétendaient y entrer tous à la fois, ce qui leur fut refusé. Instruit de ce qui s'était passé à Mozambique, le roi de Mombaça, feignant de l'ignorer, envoya des présents à Gama, lui proposa d'établir un comptoir dans sa capitale et l'assura qu'il pourrait, aussitôt entré dans le port, prendre charge d'épiceries et d'aromates. Le capitam mor, sans se douter de rien, envoya aussitôt deux hommes annoncer son entrée pour le lendemain. Déjà on levait l'ancre, lorsque le vaisseau amiral, se refusant à virer, on la laissa retomber à pic. Dans une gracieuse et poétique fiction, Camoëns affirme que ce sont les Néréides, conduites par Vénus, la protectrice des Portugais, qui arrêtèrent leurs navires sur le point d'entrer dans le port. A ce moment, tous les Maures qui se trouvaient sur les navires portugais les quittèrent à la fois, tandis que les pilotes venus de Mozambique se jetaient à la mer. Deux Maures, soumis à la question de la goutte d'huile ardente, avouèrent qu'on se proposait de faire prisonniers les Portugais dès qu'ils seraient entrés dans le port. Pendant la nuit, les Maures essayèrent à plusieurs reprises de grimper à bord et de rompre les câbles pour faire échouer les bâtiments, mais chaque fois ils furent découverts. Une relâche dans ces conditions ne pouvait être bien longue à Mombaz.
Elle dura cependant assez pour que tous les scorbutiques recouvrissent la santé. d'or, d'argent et d'approvisionnements. Le lendemain, elle arriva à Mélinde, cité riche et florissante, dont les minarets dorés, étincelant sous les rayons du soleil, et les mosquées, d'une blancheur éclatante, se découpaient sur un ciel d'un bleu intense. La réception, d'abord assez froide, parce qu'on savait à Mélinde la capture de la barque opérée la veille, devint cordiale aussitôt que des explications eurent été échangées. Le fils du roi vint visiter l'amiral avec un cortége de courtisans magnifiquement vêtus et des choeurs de musiciens qui jouaient de divers instruments. Ce qui l'étonna le plus, ce fut l'exercice du canon, car l'invention de la poudre n'était pas encore connue sur la côte orientale d'Afrique. Un traité solennel fut juré sur l'Évangile et le Coran et cimenté par un échange de présents magnifiques.
Le mauvais vouloir, les embûches, les difficultés de tout genre qui avaient assailli jusque-là l'expédition cessèrent dès lors comme par enchantement, ce qu'il faut attribuer à la franchise, à la générosité du roi de Mélinde, et à l'aide qu'il fournit aux Portugais. Fidèle à la promesse qu'il en avait faite à Vasco da Gama, le roi lui envoya un pilote guzarate, nommé Malemo Cana, homme instruit dans la navigation, qui savait se servir de cartes, du compas et du quart de cercle, et qui rendit les plus grands services à l'expédition. Après une escale de neuf jours, la flotte leva l'ancre pour Calicut. Il fallait maintenant renoncer à cette navigation de caboteurs, toujours en vue des côtes, qui avait été jusqu'alors pratiquée. Le jour était venu de s'abandonner à la grâce de Dieu sur l'immense Océan, sans autre guide qu'un pilote inconnu, fourni par un roi dont le bon accueil n'avait pu endormir la méfiance des Portugais. Et cependant, grâce à l'habileté et à la loyauté de ce pilote, grâce à la clémence de la mer et du vent, qui se montra constamment favorable, après une navigation de vingt-trois jours, la flotte accostait la terre le 17 mai, et, le lendemain, elle mouillait à deux lieues au-dessous de Calicut.

Fort Jesus de Mombaça 1833
L'enthousiasme fut grand à bord. On était donc enfin arrivé dans ces pays si riches et si merveilleux. Les fatigues, les dangers, la maladie, tout fut oublié. Le but de tant et de si longs efforts était atteint! Ou plutôt il semblait l'être, car il s'en fallait encore qu'on fût maître des trésors et des riches productions de l'Inde. A peine l'ancre avait-elle touché le fond, que quatre embarcations se détachèrent du rivage, évoluèrent autour de la flotte, semblant inviter les matelots à débarquer.
Mais Gama, qu'avaient rendu prudent les événements de Mozambique et de Mombaça, envoya en éclaireur un des malfaiteurs embarqués. Celui-ci devait parcourir la ville et tâcher de découvrir les dispositions des habitants. Entouré d'une foule de curieux, assailli de questions auxquelles il ne pouvait répondre, il fut conduit chez un Maure nommé Mouçaïda, qui parlait l'espagnol et à qui il raconta sommairement les péripéties de l'expédition. Mouçaïda l'accompagna sur la flotte, et ses premiers mots en mettant le pied sur les navires furent: « Bonne chance! bonne chance! beaucoup de rubis, beaucoup d'émeraudes! » Depuis cemoment, Mouçaïda futattaché à l'expédition commeinterprète. Comme le roi de Calicut était alors éloigné de sa capitale d'une quinzaine de lieues, le capitam môr envoya deux hommes pour l'avertir que l'ambassadeur du roi de Portugal était arrivé et lui apportait des lettres de son souverain. Le roi dépêcha aussitôt un pilote chargé de conduire les navires portugais sur la rade plus sûre de Pandarany et répondit qu'il serait le lendemain de retour à Calicut. En effet, il chargea son intendant ou catoual d'inviter Gama à descendre à - terre pour traiter de son ambassade. Malgré les supplications de son frère Paul da Gama, qui lui représentait les dangers auxquels il allait s'exposer et ceux que sa mort ferait courir à l'expédition, le capitam mûr gagna le rivage, où l'attendait une foule immense.
L'idée qu'ils se trouvaient au milieu de peuples chrétiens était tellement enracinée chez tousles membres de l'expédition, que, rencontrant une pagode sur son chemin, Gama y entra faire ses dévotions. Toutefois, un de ses compagnons, Juan de Saa, que la laideur des images peintes sur les murailles rendait moins credule, dit à haute voix, en s'agenouillant : « Si cela est un diable, je n'entends toutefois adorer que le vrai Dieu! » restriction qui excita la bonne humeur de l'amiral. Près des portes de la ville, la foule était encore plus compacte. Gama et les Portugais, conduits par le catoual, eurent de la peine à gagner le palais, où le roi, désigné dans les relations sous le titre de « zamorin,» les attendait avec une extrême impatience. Introduits dans des salles pompeusement décorées d'étoffes de soie et de tapis, où brûlaient des parfums exquis, les Portugais se trouvèrent en présence du zamorin, qui était revêtu d'habits magnifiques et de joyaux précieux, de perles et de diamants d'une grosseur extraordinaire. Le roi leur fit servir des rafraîchissements, leur permit de s'asseoir, — faveur précieuse dans un pays où l'on ne parle au souverain que prosterné à terre, (...)
Verne, Jules (1828-1905). Les Grands voyages et les grands voyageurs. Découverte de la terre, [1re-2e parties] par Jules Verne... Dessins par L. Benett et P. Philippoteaux... Facsimilé
d'après les documents anciens et cartes par Dubail et Matthis. 1878.

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