Monastère des Hiéronymites - Mosteiro dos Jerónimos - Mosteiro de Santa Maria de Belém

Monastère des Hiéronymites
Monastère des Hiéronymites - Alfredo Roque Gameiro (1864-1935)

La richesse extrême de Belem reflète la richesse même du Portugal à cette époque la plus illustre de son histoire où l'Inde et l'Orient déversaient leurs trésors dans le port de Lisbonne. Ce monastère illustre fut fondé en 1499 pour des religieux hiéronymites, ordre peu répandu en France, mais qu'on trouve fréquemment dans la péninsule ibérique. Mais avant tout, le monument reste l'oeuvre de la volonté royale d'Emmanuel Ier.
C'est donc une oeuvre dynastique élevée par la volonté d'un prince fastueux et pour sa gloire ; l'ensemble fut élevé rapidement ; en 1530, le gros de l'ouvrage sauf le choeur était achevé. En plan l'église se présente de manière très simple. Trois nefs et un transept peu saillant. On soulignera ici encore l'importance des nefs latérales.

Elles sont très larges et en élévation ; elles sont aussi hautes que le vaisseau central. Faut-il songer à une imitation des hallekirche allemandes? il ne le paraît pas. Nous avons vu à Thomar, à Alcobaça, à Batalha même que toute l'architecture religieuse portugaise apparaît comme hantée par ce problème des bas côtés et désireuse de leur donner le plus d'importance possible. Nous voyons à Belem l'aboutissement de cette évolution.
Les bas-côtés ont la même importance que la nef, il n'y a plus d'étagement entre les diverses parties de l'église, qui n'est plus qu'une immense salle. Boytac, l'architecte auquel il faut attribuer le parti général - de Belem, avait dans l'église antérieure du Jésus à Sétubal, laissé pressentir la disposition de Belem sans l'adopter encore.
Une légère inégalité se marque entre les trois nefs, la principale étant beaucoup plus large et un peu plus élevée que les latérales. Par cette disposition l'église de Setubal peut rappeler celle de Batalha, et montre que l'art de Boytac a ses racines dans le sol portugais et non à l'étranger. Boytac n'acheva pas Belem. On ne peut guère y voir son style ; pour en avoir une idée nette, c'est à Sétubal qu'il faut aller. En pénétrant dans cette église une étonnante particularité frappe les visiteurs : Les colonnes séparant les trois nefs sont composées de quatre grosses colonnettes tordues en spirales. C'est là un des plus étranges monuments manuélins qu'on puisse voir.
Monastère des Hiéronymites

On trouve bien des spirales autour des colonnes flamboyantes françaises, mais ce ne sont que de minces nervures qui serpentent autour du noyau de la pile qui demeure intact. Ici les quatre colonnes engagées les unes dans les autres et qui forment la pile se tordent, si bien que l'église paraît reposer sur des éléments instables. Il ne s'agit donc pas ici comme dans l'art flamboyant de simples jeux de nervures ; ce sont au contraire des effets énormes qui altèrent la structure même de l'édifice. Ces grosses colonnes font songer à des reptiles ou à des arbres s'enlaçant plus qu'à des formes architecturales.

Monastère des Hiéronymites
A Belem, des colonnes séparent aussi les trois nefs, mais leur décoration, leur plastique, même est totalement différente, on n'y saurait reconnaître l'esprit de Boytac. Ce sont ici d'élégants fûts octogonaux dont chaque face est couverte de rinceaux, de candélabres dans le goût de la Renaissance. Comment expliquer pareil changement ? Il y a là un nouvel esprit qui nous fait passer du manuélin, style malgré tout médiéval, à l'art nouveau inspiré de l'Italie. C'est Joâo de Castilho qui, à partir de 1517 a pris la direction des travaux de Belem, c'est lui donc qui y a introduit le vocabulaire de la Renaissance que Boytac ignorait. Ce n'est pas sans étonnement que l'on voit Castilho être au Portugal l'instigateur des nouvelles formules.

En 1515, il édifiait la fameuse nef de l'église de Thomar, qui est étudiée par ailleurs. Les agrès de marines, cordages, ceinture et autres y deviennent des éléments de la décoration architecturale, qui, abondante, déborde de toute part.
On est stupéfait devant cet ensemble et on a peine à croire que c'est le même architecte qui, quelques années plus tard, devait nous donner les élégants piliers de Bélem. Par qui fut-il initié à l'art de la Renaissance ? On sait que des artistes français et parmi eux un certain Nicolas Chantereine, vinrent au Portugal au temps d'Emmanuel Ier.
Un des premiers travaux de Chantereine fut précisément le portail occidental de Belem qui montre une parfaite entente de l'art français au temps de Louis XII. Castilho paraît avoir changé sa manière au contact de ces Français.
Mosteiro dos Jerónimos
L'art de la Renaissance aurait donc été connu à Belem, non grâce à des Italiens, mais grâce à des Français. Ce fait est frappant : par exemple la disposition si originale des piliers octogonaux à faces décorées de candélabres et de rinceaux se retrouve en France, à l'église de Gisors. Or l'on sait que l'un des sculpteurs qui sont venus au Portugal, Jean de Rouen, a travaillé à Gisors, à un groupe de sculptures aujourd'hui disparu. Il y a là un rapport difficileà préciser mais qui valait la peine d'être signalé. Il est fort probable d'ailleurs que Chantereine lui-même avant de venir au Portugal a travaillé en Ile-de-France ou en Normandie ; c'est donc l'art le plus délicat des débuts de la première Renaissance française qu'il exportait dans les chantiers portugais et qu'il apprit au tumultueux architecte manuélin qu'était Castilho. Il est curieux à ce point de vue de comparer le pilier de Gisors avec ceux de Belem, on constatera comment le tempérament portugais a su se retrouver dans ce vocabulaire décoratif si raffiné de la Renaissance qui paraissait bien peu fait pour lui. A Gisors, le pilier qui nous occupe est dans un bas-côté, éloigné, tel un objet précieux, des parties principales de l'église.
O cláustro do Convento dos Jerónimos, concluído por D. João III Alfredo Roque Gameiro (1864-1935)

A Belem, on n'a pas craint de faire de ces piles décorées les supports essentiels de l'église. A Gisors, il est de section uniforme, à Belem il se renfle à la base pour jaillir avec plus d'élégance. A Gisors, la décoration est petite d'échelle et d'une précision un peu sèche, tandis qu'à Belem elle reste fruste et grasse comme remplie de sève manuéline.

Le génie portugais domine tout à Bélem. Le parti général — reprenant celui de Setubal — reste attribuable à Boytac, et si l'influence française apportant l'art de la Renaissance, a pu changer les principes mêmes de la décoration, l'esprit avec lequel celle-ci a été traitée reste tout manuélin. La vigueur de Castilho s'y retrouve partout. Ce ne serait pas donner une idée exacte de Bélem que d'insister seulement sur ses particularités de style. Cet édifice est un des plus hardis et un des plus parfaitement exécutés qui soient. Nous avons vu que les trois nefs sont très élevées, que les piles les supportant ont donc une importance considérable. Or jamais, dans aucun autre édifice les piliers n'ont été aussi peu nombreux, ni de section plus faible.
C'est-à-dire que pour une surface voûtée déterminée, il n'y a pas d'église qui ait des supports moins considérables. Castilho est arrivé à cet extraordinaire résultat parce que, possédant de façon accomplie les traditions constructives médiévales, il est parvenu à neutraliser de façon parfaite les unes par les autres les poussées exercées par les voûtes sur les supports ; ceux-ci sont donc maintenues par ces forces opposées dans un plan parfaitement vertical. En outre, la poussée a été localisée avec une telle exactitude, qu'au lieu de laisser comme dans nos édifices d'énormes piles où elle restait diffuse, on a pu élever ces hautes piles maigres et élégantes, qui, ainsi qu'on le fait souvent remarquer, semblent suspendues à la voûte plutôt qu'elles ne paraissent la supporter.
Cet équilibre parfait de la construction nécessite une structure parfaite des voûtes.
Monastère des Hiéronymites

Les Portugais y étaient passés maîtres, et déjà dans la salle du Chapitre de Batalha, avaient su élever une voûte d'une vaste portée sans supports intermédiaires. Cette prouesse est renouvelée au transept de Belem, sur une surface plus étendue encore.
La voûte tient grâce à la multiplication des nervures portantes, grâce à l'appareillage parfait. Remarquons encore ici l'originalité des Portugais : rien de tel n'existe en France et les voûtes anglaises contemporaines sont d'une structure tout à fait différente.
Quelle impression n'a-t-on pas en entrant dans l'église! Énorme et très haute, ses seuls points d'appui intérieur sont des piles très minces et couvertes d'une décoration abondante.

La voûte est sillonnée de nervures compliquées. Ce décor, cet espace, on ne les retrouve nulle part ailleurs. Emmanuel a su faire élever un édifice unique, à côté duquel les églises contemporaines, en France, apparaissent comme des édifices bâtards et confus.

Pórtico axial dos Jerónimos- Alfredo Roque Gameiro (1864-1935)
Mosteiro dos Jerónimos début 20ème

Portugal. Notes de voyage. 1933. Jacques VANUXEM

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