Fernão de Magalhães - Fernand de Magellan (1480-1521)

(...) En 1520, Fernao de Magalhàes (Magellan) arrive au détroit qui porte aujourd'hui son nom, sur le point méridional de l'Amérique, et la Terre de Feu est dépassée; il ne put effectuer complètement ce premier voyage de circumnavigation, car il fut assassiné dans l'île de Cébu, une des Philippines.(...)

(...) Ce fut Magellan qui découvrit Timor en 1522. En 1640, les Hollandais s'emparèrent à leur tour d'une partie de l'île.(...)
Le Portugal géographique, ethnologique, administratif, économique, littéraire, artistique, historique, politique, colonial, etc., par MM. Brito Aranha, Christovam Ayres, Teixeira
Bastos, Daniel Bellet, Cardozo de Bethencou.... 1900.


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 Route suivie par Magellan dans sa navigation autour du monde de 1519 à 1522


Quelque temps auparavant, Ferdinand de Magalhaes , que nous appellons Magellan, mécontent d'Emmanuel qui le payait mal de ses services, s'était retiré en Castille où il avait été favorablement accueilli par Charles, et surtout par le cardinal Ximenez, alors premier ministre. Il offrait de chercher, pour arriver à la mer du Sud et spécialement aux Moluques, dont la propriété était en discussion entre les deux couronnes, un passage à l'occident plus court que celui du cap de Bonne-Espérance. Le cardinal lui confia cinq vaisseaux pour cette recherche; mais l'expédition ne réussit qu'en partie. Magellan trouva le fameux détroit qui a immortalisé son nom ; mais après avoir parcouru la mer du Sud en remontant vers le nord, il découvrit un groupe d'îles, et parmi elles celle de Zébu, à laquelle il aborda pour son malheur; car ayant voulu prendre part il une querelle des naturels entre eux, il fut massacré avec la plus grande partie de son équipage (1521); ce ne fut que l'année suivante que son vaisseau fut ramené à Séville par ceux qui avaient échappé à la fureur des sauvages.

Marlès, Jules Lacroix de (17..-1850?). Histoire de Portugal, d'après la grande histoire de Schaeffer et continuée jusqu'à nos jours par M. de Marlès,.... 1840.


Gravure du livre Verne, Jules (1828-1905). Les Grands voyages et les grands voyageurs.
 Découverte de la terre, [1re-2e parties] par Jules Verne...
 Dessins par L. Benett et P. Philippoteaux... Facsimilé
d'après les documents anciens et cartes par Dubail et Matthis. 1878.

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Fils d'un gentilhomme de Cota e Armas, Fernand de Magellan naquit à Porto, à Lisbonne, à Villa-de-Sabrossa ou à Villa-de-Figueiro, on ne sait au juste, à une date inconnue, mais vers là fin du xve siècle. Il avait été élevé dans la maison du roi Jean II, où il reçut une éducation aussi complète qu'on pouvait la donner alors. Après avoir étudié d'une manière toute spéciale les mathématiques et la navigation, - car il existait à cette époque en Portugal un courant irrésistible qui emportait le pays tout entier vers les expéditions et les découvertes maritimes,.-

Magellan embrassa de bonne heure la carrière de la marine et s'embarqua, en 1505, avec Almeida,qui se rendait aux Indes. Il prit part au sac de Quiloa et à tous les événements de cette campagne. L'année suivante, il accompagna Vaz Pereira à Sofala; puis, de retour à la côte de Malabar, nous le voyons assister à la prise de Malacca avec Albuquerqùe et s'y conduire avec autant de prudence que de bravoure. Il fit partie de ces expéditions qu'Albuquerque envoya, vers 1510, à la recherche de ces fameuses îles aux épices, sous le commandement d'Antonio de Abreu et de Francisco Serrâo, qui découvrirent Banda, Amboine, Ternate et Tidor. Pendant ce temps, Magellan avait abordé à des îles de la Malaisie éloignées de 600 lieues de Malacca, et il obtenait sur l'archipel des Moluques des renseignements circonstanciés qui firent naître, dans son esprit, l'idée du voyage qu'il devait accomplir plus tard. De retour en Portugal, Magellan obtint, non sans difficulté, l'autorisation de fouiller dans les archives de la couronne. Il acquit bientôt la certitude que les Moluques étaient situées dans l'hémisphère qu'avait attribué à l'Espagne la bulle de démarcation, adoptée à Tordesillas par les rois d'Espagne et de Portugal, et confirmée, en 1494, par le pape Alexandre VI. En vertu de cette démarcation qui devait donner lieu à tant de débats passionnés, tous les pays situés à trois cent soixante milles à l'ouest du méridien des îles du cap Vert, devaient appartenir à l'Espagne, et tous ceux à l'est du même méridien au Portugal. Magellan avait trop d'activité pour rester longtemps sans reprendre du service. Il alla donc guerroyer en Afrique, à Azamor, ville du Maroc, où il reçut au genou une blessure légère, mais qui, lésant un nerf, le laissa boiteux pour le reste de s'a vie et le força à rentrer en Portugal.
Conscient de la supériorité que ses connaissances théoriques et pratiques, et ses services lui assuraient sur la tourbe des courtisans, Magellan devait ressentir plus vivement qu'un autre l'injuste traitement qu'il reçut d'Emmanuel, au sujet de certaines plaintes portées par les habitants d'Azamor contre les officiers portugais. Les préventions d'Emmanuel se changèrent bientôt en une aversion véritable. Elle se traduisit par cette imputation outrageuse que, pour échapper à des accusations irréfutables, Magellan feignait de souffrir d'une blessure sans conséquence dont il était complètement guéri. Une telle assertion était grave pour l'honneur si susceptible, si ombrageux de Magellan. Aussi, s'arrêta-t-il dès lors à une résolution extrême qui répondait, d'ailleurs, à la grandeur de l'offense reçue. Pour que personne n'en pût ignorer,, il fit constater par acte authentique qu'il renonçait à ses droits de citoyen portugais, changeait de nationalité et prenait en Espagne des lettres de naturalisation. C'était pro-' clamer, aussi solennellement qu'il était possible de le faire, qu'il entendait être traité en sujet de la couronne de Castille, à laquelle il voulait consacrer dorénavant ses services et sa vie tout entière. Grave détermination, on le voit, qui ne trouva personne pour la blâmer, que les historiens les plus rigoristes ont excusée, témoin Barros et Faria y Sousa. En même temps que lui, un homme profondément versé dans les connaissances cosmographiques, le licencié Ruy Faleiro, également tombé dans la disgrâce d'Emmanuel, quittait Lisbonne avec son frère Francisco et un marchand nommé Christovam de Haro. Il avait conclu avec Magellan un traité d'association pour gagner les Moluques par une voie nouvelle qui n'était pas autrement déterminée et qui restait le secret de Magellan. Dès qu'ils furent arrivés en Espagne (1517), les deux associés soumirent leur projet à Charles-Quint, qui l'accepta en principe. Mais il s'agissait, ce qui est toujours délicat, de passer aux moyens d'exécution. Par bonheur, Magellan trouva en Juan de Aranda, facteur de la chambre de commerce, un partisan enthousiaste de ses théories, qui lui promit de mettre en jeu toute son influence pour faire réussir l'entreprise. Il vit, en effet, le grand chancelier, le cardinal et l'évêque de Burgos, Fonseca. Il sut exposer avec tant d'habileté le bénéfice considérable, pour l'Espagne, de la découverte d'une route conduisant au centre même de production des épices, et le préjudice immense qui en résulterait pour le commerce du Portugal, qu'une convention fut signée le 22 mars 1518. L'empereur s'engageait à faire tous les frais de l'armement, à condition que la plus grande partie des bénéfices lui reviendrait. Mais Magellan avait encore bien des obstacles à surmonter avant de prendre la mer. Ce furent, d'abord, les remontrances de l'ambassadeur portugais, Alvaro da Costa, qui essaya même, voyant l'inutilité de ses tentatives, de faire assassiner Magellan, au dire de Faria y Sousa. Puis, il se heurta au mauvais vouloir des employés de la Casa de contratacion de Séville, jaloux de voir donner à un étranger le commandement d'une expédition si importante, et envieux de la dernière faveur qui venait d'être accordée à Magellan et à Ruy Faleiro, nommés commandeurs de l'ordre de Saint-Jacques. Mais Charles-Quint avait donné son consentement par un acte public qui paraissait devoir être irrévocable. On essaya cependant de le faire revenir sur sa décision, en organisant, le 22 octobre 1518, une émeute soldée par l'or du Portugal. Elle éclata sous le prétexte que Magellan, qui venait de faire tirer à terre un de ses navires pour le réparer et le peindre, l'avait décoré des armes portugaises. Cette dernière tentative échoua misérablement, et trois ordonnances des 30 mars, 6 et 30 avril vinrent fixer la composition des équipages et nommer l'état-major ; enfin une dernière cédule, datée de Barcelone, le 26 juillet 1519,confiait le commandement unique de l'expédition à Magellan. Que s'était-il passé avec Ruy Faleiro? nous ne saurions le dire exactement. Mais ce dernier, qui jusqu'alors avait été traité sur le même pied que Magellan, qui avait peut-être conçu le projet, se vit tout à fait exclu du commandement de l'expédition, à la suite de dissentiments dont on ne connait pas la cause. Sa santé, déjà ébranlée, reçut un dernier coup de cet affront, et le pauvre Ruy Faleiro, devenu presque fou, étant retourné en Portugal pour voir sa famille, y fut arrêté et ne put être relâché que grâce à l'intercession de Charles-Quint. Enfin, après avoir prêté lui-même foi et hommage à la couronne de Castille, Magellan reçut à son tour le serment de ses officiers et matelots et quitta le port de San-Lucar de Barrameda, le matin du 10 août 1519. Mais, avant d'entamer le récit de cette mémorable campagne, il nous faut donner quelques détails sur celui qui nous en a conservé la relation la plus complète, sur François-Antoine Pigafetta ou Jérôme Pigaphète, ainsi qu'il est souvent appelé en France. Né à Vicence vers 1491d'une famille noble, Pigafetta faisaitpartie dela suite de l'ambassadeur Francesco Chiericalco, que Léon X envoya à Charles-Quint alors à Barcelone. Son attention fut sans doute éveillée par le bruit que faisaient alors en Espagne les préparatifs de l'expédition, et il obtint de prendre part au voyage. Ce volontaire fut d'ailleurs une excellente recrue, car il se montra dans toutes les circonstances aussi fidèle et intelligent observateur que brave et courageux compagnon. Il fut blessé au combat de Zébu à côté de Magellan, ce qui l'empêcha même d'assister au banquet pendant lequel un si grand nombre de ses compagnons devaient trouver la mort. Quant à son récit, à part quelques exagérations de détail dans le goût du temps, il est exact, et la plupart des descriptions que nous lui devons ont été vérifiées parles voyageurs et les savants modernes, notamment par M. Alcide d'Orbigny.
Dès son retour à San-Lucar le 6 septembre 1522, le Lombard, ainsi qu'on l'appelait à bord de la Victoria, après avoir accompli le voeu qu'il avait fait d'aller remercier pieds nus «Nuesta Senora delà Victoria,» présenta à Charles-Quint, alors à Valladolid, le journal complet du voyage. A son retour en Italie, au moyen de l'original ainsi que dénotés complémentaires et à la requête du pape Clément VII et du grand maître de l'ordre de Malte, Villiers de l'Isle-Adam, il écrivit un récit plus élendu de l'expédition, dont il adressa plusieurs copies à quelques grands personnages et notamment à Louise de Savoie, mère de François Ier. Mais cette dernière, ne pouvant comprendre, pense M. Harrisse, le très-érudit auteur de la Bibliotheca americana vetustissima, l'espèce de patois employé par Pigafetta et qui ressemblait à un mélange d'italien, de vénitien et d'espagnol, requit un certain Jacques-Antoine Fabre de le traduire en français. Au lieu d'en donner une traduction fidèle, Fabre en aurait fait une sorte d'abrégé. Quelques critiques supposent cependant que ce récit aurait été écrit originairement en français; ils fondent leur opinion sur l'existence de trois manuscrits français du XVIe siècle, qui présentent des variantes considérables, et dont deux sont déposés à la Bibliothèque nationale de Paris. Pigafetta mourut à Vicence vers 1534, dans une maison qu'on pouvait encore voir en 1800 rue de la Lune, et qui portait la devise bien connue: « Il n'est rose sans espine. « Toutefois, nous n'avons pas voulu nous en tenir à la relation de Pigafetta, et nous l'avons contrôlée et complétée au moyen du récit de Maximilien Transylvain; secrétaire de Charles-Quint, dont on trouve la traduction italienne dans le précieux recueil de Ramusio. La flotte de Magellan se composait de la Trinidad, de 120 tonneaux, sur laquelle battait le pavillon du commandant de l'expédition; du Sant-Antonio, également de 120 tonneaux, commandant Juan de Carthagena, le second, la personneconjointe de Magellan, dit la cédule; de la Concepcion, de 90, commandant Gaspar de Quesada; de la fameuse Victoria,de 85, commandant Luis de Mendoza; et enfin du Santiago, de 75, commandant Joao Serrâo, dont les Espagnols ont fait Serrano. Quatre de ces capitaines et presque tous les pilotes étaient Portugais. Barbosa et Gomes sur la Trinidad, Luis Alfonso de Goes et Vasco Gallego sur la Victoria, * Serrâo, Joao Lopes de Carvalho sur la Concepcion, Joao Rodriguez de Moefrapil sur le Sant'-Antonio, et Joao Serrao sur le Santiago, ainsi que vingt-cinq matelots, formaient un total de trente-trois Portugais sur un ensemble de deux cent trente-sept individus, dont les noms nous ont été conservés et parmi lesquels figurent un assez grand nombre de Français. Des officiers dont nous venons de citer les noms, nous rappellerons que Duarte Barbosa était le beau-frère de Magellan, et que Estavani Gomes, qui fut plus tard envoyé par Charles-Quint à la recherche du passage du nord-ouest, et qui, en 1524, longea les côtes d'Amérique depuis la Floride jusqu'à Rhode-Island et peut-être jusqu'au cap Cod, revint à Séville, le 6 mai 1521, sans avoir participé jusqu'à sa fin à ce mémorable voyage. Rien n'était mieux ordonné que cette expédition, pour laquelle avaient été réunies toutes les ressources que pouvait fournir l'art nautique de cette époque. Au moment du départ, Magellan remit à ses pilotes et à ses capitaines ses dernières instructions, ainsi que les signaux destinés à assurer la simultanéité des manoeuvres et à empêcher une séparation possible. Le lundi matin, 10 août 1511»,la flotte leva l'ancre et descendit le Guadalquivir jusqu'à San-Lucar de Barrameda, qui forme le port de Séville, et où elle acheva de s'approvisionner. Ce fut seulement le 20 septembre qu'elle prit définitivement la mer. Six jours après, dans l'archipel des Canaries, elle relâcha à Ténériffe, où elle fit de l'eau et du bois. C'est en quittant ces îles que les premiers symptômes de la mésintelligence qui devait être si funeste à l'expédition éclatèrent entre Magellan et Juan de Carthagena. Ce dernier prétendait être mis au courant, par le commandant en chef, de la route qu'il avait l'intention de faire, prétention aussitôt rejetée par Magellan, qui déclara n'avoir aucun compte à rendre à son subordonné. Après avoir passé entre les îles du cap Vert et l'Afrique, on atteignit les parages de Sierra-Leone, où des vents contraires et des calmes plats retinrent la flotte pendant une vingtaine de jours. Un pénible incident se produisit alors. Dans un conseil tenu à bord du vaisseau amiral, une vive discussion s'étant élevée, et Jean de Carthagène, qui affectait de traiter avec mépris le capitaine général, lui ayant répondu avec hauteur et insolence, Magellan se vit contraint de l'arrêter de sa propre main et de le faire mettre aux ceps, instrument composé de deux pièces de bois superposées et percées de trous où devaient entrer les jambes du matelot qu'on voulait punir. Contre cette punition trop humiliante pour un officier supérieur, les autres capitaines réclamèrent vivement auprès de Magellan,et ils obtinrent que Carthagena fut simplement mis aux arrêts sous la garde de l'un d'entre eux. Aux calmes succédèrent des pluies, des bourrasques et des rafales impétueuses, qui forcèrent les bâtiments à tenir la cape. Pendant ces orages, les navigateurs furent plusieurs fois témoins d'un phénomène électrique, dont on ne connaissait pas alors la cause, qu'on croyait être un signe manifeste de la protection du ciel, et qui est encore aujourd'hui désigné sous le nom de feu Saint-Elme. Une fois qu'on eut dépassé la ligne équinoxiale, — passage qui ne paraît pas avoir été, à cette époque, célébré par la grotesque cérémonie du baptême en usage jusqu'à nos jours, — on fit route pour le Brésil, où, le 13 décembre 1519, la flotte jeta l'ancre dans le magnifique port de Santa-Lucia, connu aujourd'hui sous le nom de Rio-Janeiro. Ce n'était pas, d'ailleurs, la première fois que cette baie était vue par les Européens, comme on l'a cru longtemps.

Dès 1511, elle était désignée sous le nom de Bahia do Cabo-Frio. Elle avait été visitée aussi, quatre ans avant l'arivée de Magellan, par Pero Lopez, et semble avoir été depuis le commencement du xvi* siècle fréquentée par des marins dieppois qui, héritiers delà passion de leurs ancêtres, les Northmen, pour les navigations aventureuses, coururent le monde et fondèrent un peu partout des établissements ou des comptoirs.
En cet endroit, l'expédition espagnole se procura à bon compte, pour des miroirs, des bouts de ruban, des ciseaux, des grelots ou des hameçons, quantité de provisions, entre lesquelles Pigafetta cite les ananas, la canne à sucre, des patates, des poules et de la chair d'anta, qu'on croit être le tapir. Les renseignements qu'on trouve dans la même relation sur les moeurs des , habitants sont assez curieux pour être rapportés. « Les Brésiliens ne sont pas chrétiens, dit-il, mais ils ne sont pas non plus des idolâtres, car ils n'adorent rien; l'instinct naturel est leur unique loi. » C'est là une constatation intéressante, un aveu singulier de la part d'un italien du xvie siècle, fort porté à la superstition, et qui prouve une fois de plus que l'idée de la divinité n'est pas innée, comme l'ont prétendu certains théologiens. « Ces indigènes vivent très-vieux, ils vont complétement nus, couchent sur des filets de coton, appelés hamacs, suspendus à des poutres par les deux bouts.

Quant à leurs barques, appelées canoas, elles sont creusées dans un seul tronc d'arbre et peuvent contenir jusqu'à quarante hommes. Ils sont anthropophages, mais par occasion seulement, et ne mangent guère que leurs ennemis pris dans le combat. Leur habillement de cérémonie est une espèce de veste faite de plumes de perroquets tissées ensemble et arrangées de façon que les grandes pennes des ailes et de la queue leur forment une sorte de ceinture sur les reins, ce qui leur donne une figure bizarre et ridicule. »Nous avons déjà dit que le manteau de plumes était en usage sur le bord du Pacifique, chez les Péruviens; il est curieux de constater qu'il était également porté par les Brésiliens. On a pu voir quelques spécimens de cette singulière parure à l'exposition du musée ethnographique. Ce n'était pas d'ailleurs le seul ornement de ces sauvages, qui se passaient par trois trous percés dans la lèvre inférieure, de petits cylindres de pierre, coutume qu'on retrouve chez bien des peuplades océaniennnes et qu'il faut rapprocher de notre mode des boucles d'oreilles. Ces peuples étaient extrêmement crédules et bons. Aussi Pigafetta dit-il qu'on aurait facilement pu les convertir au christianisme, car ils assistèrent en silence et avec recueillement à la messe qui fut dite à terre, remarque déjà faite par Alvarès Cabrai. Après être restée treize jours dans cet endroit, l'escadre continua sa route au sud en longeant la terre et arriva, par 34° 40 de latitude australe, dans un pays où coulait une grande rivière d'eau douce.
C'était la Plata. Les indigènes, appelés Charruas, éprouvèrent une telle frayeur à la vue des bâtiments, qu'ils se réfugièrent précipitamment dans l'intérieur du pays avec ce qu'ils avaient de plus précieux et qu'il fut impossible de rejoindre aucun d'eux. C'est dans cette contrée que, quatre ans auparavant, Juan Diaz de Solis avait été massacré par une tribu de Charmas, armés de cet engin terrible dont se servent encore aujourd'hui les gauchos de la République Argentine, ces bolas, qui sont des boules de métal attachées aux deux extrémités d'une longue lanière de cuir appelée lasso. Un peu au-dessous de l'estuaire de la Plata, autrefois considéré comme un bras de mer débouchant dans le Pacifique, la flottille relâcha au port Désiré. On y fit, pour les équipages des cinq vaisseaux, ample provision de pingouins, volatiles qui ne constituaient pas un manger des plus succulents. Puis, on s'arrêta, par 49° 30', dans un beau port où Magellan résolut d'hiverner et qui reçut le nom de baie Saint-Julien. Depuis deux mois, les Espagnols se trouvaient en cet endroit, lorsqu'ils aperçurent, un jour, un homme qui leur parut d'une taille gigantesque.
A leur vue, il se mit à danser et à chanter en se jetant de la poussière sur la tête. C'était un Patagon, qui se laissa conduire sans résistance sur les vaisseaux. Il manifesta le plus vif étonnement. à la vue de tout ce qui l'entourait, mais rien ne le surprit autant qu'un grand miroir d'acier qu'on lui présenta. «Le géant, qui n'avait pas la moindre idée de ce meuble et qui, pour la première fois sans doute, voyait sa figure, recula si effrayé qu'il jeta par terre quatre de nos gens qui étaient derrière lui. » On le ramena à terre, chargé de présents, et l'accueil bienveillant qu'il avait reçu détermina ses compagnons, au nombre de dix-huit, — treize femmes et cinq hommes, — à monter à bord. Grands, le visage large et teint de rouge, sauf les yeux cerclés de jaune, les cheveux blanchis à la chaux, ils étaient drapés dans d'énormes manteaux de fourrure, et portaient ces larges chaussures en peau qui leur firent donner le nom de Grands-Pieds ou Patagons. Leur taille n'était cependant pas aussi gigantesque qu'elle le parut à notre naïf conteur, car elle varie entre lm ,92 et lm,72, ce qui est toutefois au-dessus de la taille moyenne des Européens. Pour armes, ils avaient un arc court et massif et des flèches de roseau dont la pointe était formée d'un caillou tranchant.
Le capitaine, pour retenir deux de ces sauvages qu'il voulait conduire en Europe, usa d'une supercherie que nous qualifierions d'odieuse aujourd'hui, mais qui n'avait rien de révoltant au XVIe siècle, alors qu'on considérait partout les nègres et les Indiens comme des sortes d'animaux. Il les chargea de présents, et lorsqu'il les en vit embarrassés, il offrit à chacun d'eux un de ces anneaux de fer qui servent à enchaîner. Ils auraient bien voulu l'emporter, car ils estimaient le fer par-dessus tout, mais leurs mains étaient pleines.
navires de Magellan. En tête, La Trinidad, avec le pavillon amiral
On leur proposa alors de le leur attacher à la jambe, ce qu'ils acceptèrent sans méfiance. Les matelots fermèrent alors les anneaux, de sorte que les sauvages se trouvèrent enchaînés. Rien ne peut donner une idée de leur fureur, lorsqu'ils s'aperçurent de ce stratagème, plus digne de sauvages que d'hommes civilisés. On essaya encore, mais vainement, d'en capturer quelques autres, et dans cette chasse, l'un des Espagnols fut blessé d'une flèche empoisonnée, qui causa presque subitement sa mort. Chasseurs intrépides, ces peuples errent constamment à la poursuite des guanaquis et d'autre gibier, car ils sont doués d'une telle voracité que « ce qui suffirait à la nourriture de vingt matelots peut à peine en rassasier sept ou huit. »
Magellan, pressentant que la station allait se prolonger, voyant aussi que le pays ne fournissait que de piètres ressources, ordonna d'économiser les vivres et de mettre les hommes à la ration, afin que l'on pût atteindre le printemps sans trop de privations et gagner une contrée plus giboyeuse. Mais les Espagnols, mécontents de la stérilité du lieu, de la longueur et de la rigueur de l'hiver, commencèrent à murmurer. Cette terre paraissait s'enfoncer dans le sud jusqu'au pôle antarctique, disaient-ils; il ne semblait pas y avoir de détroit; déjà plusieurs étaient morts des privations endurées; enfin il serait bien temps de reprendre le chemin de l'Espagne, si le commandant ne voulait pas voir tous ses hommes périr en ce lieu. Magellan, parfaitement résolu à mourir ou à mener à bonne fin l'entreprise dont il avait le commandement, répondit que l'empereur lui avait assigné le cours de son voyage, qu'il ne pouvait ni ne voulait, sous aucun prétexte, s'en départir, et qu'en conséquence il irait droit devant lui jusqu'à la fin de cette terre ou jusqu'à ce qu'il rencontrât quelque détroit. Quant aux vivres, s'ils s'en trouvaient trop à court, ses gens pouvaient ajouter à leur ration le produit de leur pêche ou de leur chasse.
Magellan crut qu'une déclaration si ferme allait imposer silence aux mécontents et qu'il n'entendrait plus parler de privations dont il souffrait aussi bien que les hommes de ses équipages. Il se trompait grossièrement. Certains capitaines, et Juan de Carthagena en particulier, avaient intérêt à ce qu'une révolte éclatât. Ces rebelles commencèrent donc à rappeler aux Espagnols leur vieille haine contre les Portugais. Le capitaine général, étant de ces derniers, ne s'était jamais franchement rallié, selon eux, au drapeau espagnol. Afin de pouvoir rentrer dans sa patrie et se faire pardonner ses torts, il voulait commettre quelque forfait éclatant, et rien ne serait plus avantageux au Portugal que la destruction de cette belle flotte. Au lieu de les mener dans cet archipel des Moluques dont il leur avait vanté l'opulence, il voulait les entraîner dans des régions glacées, séjour de neiges éternelles, où ils aurait bien s'arranger pour les faire périr: puis, avec l'aide des Portugais embarqués sur l'escadre, il ramènerait dans sa patrie les vaisseaux dont il se serait emparé. Tels étaient les bruits, les accusations que semaient parmi des matelots les affidés de Juan de Carthagena, de Luis de Mendoza et de Gaspar de Quesada, lorsque, le dimanche des Rameaux, 1er avril 1520, Magellan convoqua les capitaines, officiers et pilotes, pour entendre la messe à son bord et dîner ensuite avec lui. Alvaro de La Mesquita, cousin du capitaine général, se rendit à cette invitation avec Antonio de Coca et ses officiers; mais ni Mendoza, ni Quesada et à plus forte raison Juan de Carthagena, prisonnier de ce dernier, n'y parurent. La nuit suivante, ils montèrent avec trente hommes de la Conception sur le Sauf-Antonio et voulurent se faire livrer la Mesquita. Le pilote Juan de Eliorraga, en défendant son capitaine, reçut quatre coups de poignard dans le bras. Quesada s'écriait en même temps: a Vous allez voir que ce fou va nous faire manquer notre affaire. » Les trois vaisseaux Concepcion, Santo Antonio et Santiago tombèrent sans difficulté entre les mains des rebeUes, qui comptaient plus d'un complice dans les équipages. Malgré ce succès, les trois capitaines n'osèrent s'attaquer ouvertement au commandant en chef et lui envoyèrent porter des propositions d'accommodement. Magellan leur répondit de venir à bord de la Trinidad pour s'entendre avec lui; mais ils s'y refusèrent énergiquement. N'ayant plus alors de ménagements à garder, Magellan fit saisir l'embarcation qui lui .avait apporté cette réponse, et, choisissant parmi son équipage six hommes solides et déterminés, il les expédia à bord de la Victoria sous le commandement del'alguazil Espinosa.

Celui-ci remit à Mendoza une lettre de Magellan, lui enjoignant de se rendre à bord de la Trinidad, et, comme il souriait d'un air moqueur, Espinosa lui donna du poignard dans la gorge, tandis qu'un matelot lui portait un coup de coutelas à la tête. Pendant que ces événements se passaient, une autre embarcation, chargée de quinze hommes armés, accostait la Victoria et s'en emparait, sans que les matelots, surpris par la rapidité de l'exécution, opposassent la moindre résistance. Le lendemain, 3 avril, les deux autres bâtiments révoltés furent repris, non sans effusion de sang toutefois. Le corps de Mendoza fut divisé en quartiers, tandis qu'un greffier lisait à haute voix la sentence qui le flétrissait. Trois jours après, Quesada était décapité et coupé en morceaux par son propre domestique, qui se résignait à cette triste besogne pour avoir la vie sauve.
Quant à Carthagena, le haut rang que la cédule royale lui avait conféré dans l'expédition le sauvait de la mort, mais il était abandonné, ainsi que le chapelain Gomez de la Reina, sur la plage, où il fut recueilli quelques mois après par Estevam Gomez. Quarante matelots coupables de rébellion reçurent leur pardon, parce que leurs services étaient reconnus indispensables. Après cette sévère répression, Magellan put espérer que l'esprit de mutinerie était décidément dompté. Lorsque la température devint plus clémente, les ancres furent levées l'escadre reprit la mer le 24 août, suivant la côte et explorant avec soin tous les golfes pour y trouver ce détroit si obstinément cherché. A la hauteur du cap Sainte-Croix, un des navires, le Santiago, se perdit sur des rochers pendant une violente rafale qui soufflait de l'est. Par bonheur, on put sauver les hommes et les » marchandises, sans compter qu'on parvint à enlever du bâtiment naufragé les agrès et les apparaux qu'on répartit sur les quatre vaisseaux restants.
Enfin, le 21 octobre suivant Pigafetta, le 27 novembre d'après Maximilien Transylvain, la flottille pénétra par un étroit goulet dans un golfe au fond duquel s'ouvrait un détroit, qui, comme on s'en aperçut bientôt, débouchait dans la mer du sud. On l'appela tout d'abord le détroit des Onze mille Vierges, parce que ce jour leur était consacré. De chaque côté de ce détroit se dressaient des terres élevées et couvertes de neige sur lesquelles on aperçut de nombreux feux, surtout à gauche, mais sans qu'on pût entrer en communication avec les indigènes.
Les détails qui nous sont donnés par Pigafetta et par Martin Transylvain sur la disposition topographique et l'hydrographie du détroit, sont assez vagues, et nous aurons d'ailleurs à y revenir, lorsque nous parlerons de l'expédition de Bougainville; nous ne nous y arrêterons donc pas. Après une navigation de vingt-deux jours à travers cette succession de goulets et de bras de mer, larges tantôt d'une lieue, tantôt de quatre, qui s'étend sur. une longueur de quatre cent quarante milles et qui a reçu le nom de détroit de Magellan, la flotte déboucha sur une mer immense et profonde. La joie fut générale, lorsqu'enfin on vit atteint le but de tant et de si longs efforts. Désormais la route était ouverte, et les prévisions si habiles de Magellan s'étaient réalisées. Rien n'est plus extraordinaire que la navigation de Magellan dans cet océan qu'il appela Pacifique, parce que, pendant près de quatre mois, il n'y fut assailli par aucune tempête. Les privations qu'eurent à supporter les équipages pendant ce long espace de temps furent excessives.
Le navire de Magellan, La Trinidad
Le biscuit n'était plus qu'une poussière mêlée de vers, et l'eau corrompue exhalait une odeur insupportable. Il fallut, pour ne pas mourir de faim, manger les souris, se nourrir de sciure de bois et ronger tous les cuirs qu'il fut possible de trouver. Comme il était facile de le prévoir, dans ces conditions, les équipages furent décimés par le scorbut. Dix-neuf hommes moururent, et une trentaine furent atteints aux bras et aux jambes de violentes douleurs qui les firent longtemps souffrir. Enfin, après avoir parcouru plus de 4,000 lieues sans avoir rencontré une seule île, dans une mer où l'on devait découvrir tant d'archipels si peuplés, on tomba sur deux îles désertes et stériles, appelées par cela même infortunées, mais dont la position est indiquée d'une manière beaucoup trop contradictoire pour qu'il soit possible de les reconnaître.
Par 120 de latitude septentrionale et 146° de longitude, le mercredi 6 mars, les navigateurs découvrirent successivement trois îles auxquelles on aurait bien voulu s'arrêter pour prendre des rafraîchissements et des provisions; mais les insulaires, qui montèrent à bord, volèrent tant de choses sans qu'il fut possible de les en empêcher, que l'on dut y renoncer. Ils trouvèrent même moyen de s'emparer d'une chaloupe, Magellan, outré d'une telle impudence, fit une descente avec une quarantaine d'hommes armés, brûla un certain nombre de cases et d'embarcations et tua sept hommes. Ces insulaires n'avaient ni chef, ni roi. ni religion.
La tête couverte de chapeaux de palmiers, ils portaient une barbe et des cheveux qui leur descendaient jusqu'à la ceinture. Généralement olivâtres, ils croyaient s'embellir en se colorant les dents de noir et de rouge, et leur corps était oint d'huile de coco, sans doute pour se protéger contre l'ardeur du soleil.
Leurs canots, singulièrement construits, portaient une très-grande voile en nattes qui pourrait facilement faire chavirer l'embarcation; s'ils n'avaient la précaution de lui donner une assiette bien plus stable au moyen d'une longue pièce de bois maintenue à une certaine distance par deux perches: c'est ce qu'on appelle le « balancier». Très-industrieux, ces insulaires avaient pour le vol une aptitude singulière, qui a fait donner à leur pays le nom d'îles des Larrons. Le 16 mars on vit, à trois cents lieues des îles des Larrons, une terre élevée qu'on reconnut bientôt être une île, connue aujourd'hui sous le nom de Samar. Magellan résolut d'y donner quelque repos à ses équipages exténués et fit dresser à terre deux tentes pour les malades. Les indigènes apportèrent bientôt des bananes, du vin de palmier, des cocos et des poissons. On leur offrit en échange des miroirs, des peignes, des grelots et autres bagatelles analogues.
Arbre précieux entre tous les autres, le cocotier fournit à ces indigènes leur pain, leur vin, leur huile, leur vinaigre, sans compter qu'ils en tirent, en même temps que des vêtements, le bois nécessaire à la construction et à la couverture. de leurs cabanes. Bientôt familiarisés avec les Espagnols, les indigènes leur apprirent que leur archipel produisait les clous de girofle, la cannelle, le poivre, la noix muscade, le gingembre, le maïs, et qu'on y récoltait même de l'or. Magellan donna à cet archipel le nom d'îles Saint-Lazare, plus tard changé en celui de Philippines, du nom de Philippe d'Autriche, fils de Charles-Quint. Cet archipel est formé d'un grand nombre d'îles qui s'étendent dans la Malaisie entre 511,32,et 19°,38 de latitude nord, et 114°,56' et 123°,43' de longitude est du méridien de Paris. Les plus importantes sont: Luçon, Mindoro, Leyte, la Ceylon de Pigafetta, Samar, Panay, Negros, Zébu, Bohol, Palaouan et Mindanao. Après s'être un peu refaits, les Espagnols reprirent la mer dans le but d'explorer l'archipel. Ils virent successivement les îles de Cenalo, Huinaugan, Ibusson et Abarien: ainsi qu'une autre île appelée Massava, dont le roi, Colambu, put se faire comprendre d'un esclave natif de Sumatra que Magellan avait ramené de l'Inde en Europe, et qui, par sa connaissance du malais, rendit en plusieurs circonstances de signalés services. Le roi'monta à bord avec six ou huit de ses principaux sujets. Il apportait au capitaine général quelques présents en échange desquels il reçut une veste de drap rouge et jaune faite à la turque, un bonnet de fin écarlate, tandis que des miroirs et des couteaux étaient donnés aux gens de sa suite. On lui fit voir toutes les armes à feu, et on tira devant lui quelques coups de canon dont il fut fort épouvanté. « Puis Magellan, dit Pigafetta, fit armer de toutes pièces un d'entre nous et chargea trois hommes de lui donner des coups d'épée et de stylet, pour montrer au roi que rien ne pouvait blesser un homme armé de cette manière, ce qui le surprit beaucoup; et, se tournant vers l'interprète, il dit par son moyen au capitaine qu'un homme armé de cette façon pouvait combattre contre cent. Oui, répondit l'interprète au nom du commandant, et chacun des trois vaisseaux a deux cents hommes armés de cette façon.» Le roi, étonné de tout ce qu'il avait vu, prit congé du capitaine en le priant d'envoyer avec lui deux des siens pour leur faire voir quelques particularités de l'île.
Pigafetta fut désigné et n'eut qu'à se louer de l'accueil qui lui fut fait. Le roi lui dit « qu'on trouvait dans son île des morceaux d'or gros comme des noix et même comme des oeufs, mêlés avec de la terre qu'on passait au crible pour les trouver, et que tous ses vases et même quelques ornements de sa maison étaient de ce métal. Il était vêtu fort proprement, selon l'usage du pays, et c'était le plus bel homme que j'aie vu parmi ces peuples. Ses cheveux noirs lui tombaient sur les épaules; un voile de soie lui couvrait la tête et il portait aux oreilles deux anneaux. De la ceinture jusqu'aux genoux, il était couvert d'un drap de coton brodô en soie. Sur chacune de ses dents on voyait trois taches d'or, de manière qu'on aurait dit qu'il avait toutes ses dents liées avec ce métal. U était parfumé de storax et de benjoin. Sa peau était peinte, mais le fond en était olivâtre. » Le jour de là Résurrection, on descendit à terre pour célébrer la messe, après avoir construit sur le rivage une sorte de petite église avec des voiles et des rameaux d'arbres.
Un autel avait été dressé, et pendant tout le temps que dura la cérémonie religieuse, le roi, avec une grande affluence de peuple, écouta en silence et imita tous les mouvements des Espagnols. Puis, une croix fut plantée sur une colline avec grand apparat, et on leva l'ancre pour gagner le port de Zébu, qui était le plus propre pour ravitailler les vaisseaux et trafiquer.

On y arriva le dimanche 7 avril. Magellan fit aussitôt descendre à terre un de ses officiers avec l'interprète, comme ambassadeur au roi de Zébu. L'envoyé expliqua que le chef de l'escadre était aux ordres du plus grand roi de la terre. Le but du voyage, ajouta-t-il, était les îles Moluques, et le désir de lui faire visite en même temps que de prendre quelques rafraîchissements en échange de marchandises: tels étaient les motifs qui les faisaient s'arrêter dans un pays où ils venaient en amis. « Ils sont les bienvenus, répondit le roi; mais, s'ils ont l'intention de trafiquer, ils doivent payer un droit auquel sont soumis tous les bâtiments qui entrent dans mon port, comme l'a fait, il n'y a pas quatre jours, une jonque de Siam qui est venue chercher de l'or et des esclaves, et comme peut en témoigner un marchand maure resté dans le pays. » L'Espagnol répondit que son maître était un trop grand roi pour se soumettre à pareille exigence. Ils étaient venus avec des idées pacifiques; mais, si l'on voulait faire la guerre, on trouverait à qui parler.
La Victoria
le bateau La Victoria, commandé par Sébastien del Cano

Le roi de Zébu, averti par le marchand maure de la puissance de ceux qui se présentaient et qu'il prenait pour des Portugais, consentit enfin à renoncer à ses prétentions. Bien plus, le roi de Massava, qui avait tenu à servir de pilote aux Espagnols, changea si bien les dispositions de sop confrère, que ceux-ci obtinrent le privilége exclusif du commerce de l'île, et qu'une amitié loyale fut scellée entre le roi de Zébu et Magellan par l'échange du sang qu'ils tirèrent chacun de leur bras droit. Dès ce moment, des vivres furent apportés, et les relations devinrent cordiales. Le neveu du roi, avec une nombreuse suite, vint visiter Magellan à son bord. Celui-ci en profita pour lui raconter l'histoire merveilleuse de la création du monde, de la rédemption de l'homme, et pour l'inviter à se convertir au christianisme ainsi que son peuple. Ils ne témoignèrent aucune répugnance à se faire baptiser, et, le 14 avril, le roi de Zébu, celui de Massava, le marchand maure avec cinq cents hommes et autant de femmes, reçurent le baptême. Mais ce qui n'était qu'une mode, puisqu'on ne peut dire que les indigènes connussent la religion qu'ils embrassaient et qu'ils fussent persuadés de sa vérité, devint une véritable frénésie, après une guérison miraculeuse qu'opéra Magellan. Ayant appris que le père du roi était malade depuis deux ans et sur le point de mourir, le capitaine général promit, s'il consentait à se faire baptiser et si les indigènes brÎllaient leurs idoles, qu'il se trouverait guéri. «Il ajouta qu'il était si convaincu de ce qu'il disait, raconte Pigafetta,—car il est bon de citer textuellement ses auteurs en pareille matière,—qu'il consentait à perdre la tête si ce qu'il promettait n'arrivait pas sur-le-champ. Nous Cimes alors, avec toute la pompe possible, une procession de la place où nous étions à la maison du malade, que nous trouvâmes effectivement dans un fort triste état, de manière qu'il ne pouvait ni parler ni se mouvoir. Nous le baptisâmes avec deux de ses femmes et dix filles. Le capitaine lui demanda, aussitôt après le baptême, comment il se trouvait, et il répondit soudainement que, grâce à Notre-Seigneur, il se portait bien. Nous fûmes tous témoins de ce miracle. Le capitaine surtout en rendit grâces à Dieu. Il donna au prince une boisson rafraîchissante et continua de lui en envoyer tous les jours jusqu'à ce qu'il fût entièrement rétabli. Au cinquième jour, le malade se trouva parfaitement guéri et se leva. Son premier soin fut de faire brûler en présence du roi et de tout le peuple une idole pour laquelle il avait grande vénération, et que quelques vieilles femmes gardaient soigneusement dans sa maison. Il fit aussi abattre plusieurs temples placés au bord de la mer, où le peuple s'assemblait pour manger la viande consacrée aux anciennes divinités. Tous les habitants applaudirent à ces exécutions et se proposèrent d'aller détruire toutes les idoles, même celles qui servaient dans la maison du roi, criant en même temps Vive la Castzlle1 en l'honneur du roi d'Espagne. » Près de l'île de Zébu se trouve une autre île, nommée Matan, qui avait deux chefs; l'un avait reconnu l'autorité des Espagnols, l'autre s'y était énergiquement refusé, et Magellan résolut de la lui imposer.

Le 26 avril, un vendredi, trois ohaloupes portant soixante hommes armés de cuirasses, de casques et de mousquets, et une trentaine de balangais, sur lesquels se tenaient le roi de Zébu, son gendre et quantité de guerriers, partirent pour l'île de Matan. Les Espagnols attendirent le jour et sautèrent à l'eau au nombre de quarante-neuf, car les chaloupes ne pouvaient approcher la terre à cause des rochers et des bas-fonds. Plus de quinze cents indigènes les attendaient. Ils se jetèrent aussitôt sur eux en trois bataillons et les attaquèrent de front et de flanc. Les mousquetaires et les arbalétriers tirèrent de loin sur la multitude des guerriers, sans leur faire grand mal, car ils étaient protégés par des boucliers. Assaillis à coups de pierres, de flèches, de javelots et de lances, accablés sous le nombre, les Espagnols mirent le feu à quelques cases pour écarter et intimider les naturels. Mais ceux-ci, rendus plus acharnés par la vue de l'incendie, redoublèrent d'efforts et pressèrent de tous côtés les Espagnols qui avaient la plus grande peine à leur résister, lorsqu'un fâcheux incident vint compromettre l'issue du combat.
Les indigènes n'avaient pas été longtemps à remarquer que tous les coups qu'ils dirigeaient vers les parties du corps de leurs ennemis protégées par l'armure ne les blessaient pas. Ils s'attachèrent donc aussitôt à lancer leurs flèches et leurs javelots contre la partie inférieure du corps qui se trouvait sans défense. Magellan, atteint à la jambe d'une flèche empoisonnée, ordonna la retraite, qui, commencée en bon ordre, se changea peu de temps après en une telle fuite, que sept ou huit Espagnols restèrent seuls à ses côtés. A grand'peine, ils reculaient en' combattant pour regagner les chaloupes. Ils avaient déjà de l'eau jusqu'aux genoux, lorsque plusieurs insulaires se jetèrent à la fois sur Magellan, blessé au bras, qui était dans l'impossibilité de tirer son épée, et ils lui donnèrent sur la jambe un tel coup de sabre qu'il tomba aussitôt dans l'eau, où ils n'eurent pas de peine à l'achever. Ses derniers compagnons, tous atteints, et parmi eux Pigafetta, regagnèrent à la hâte les embarcations. Ainsi périt, le 27 avril 1521, l'illustre Magellan. « Il était orné de toutes les vertus, dit Pigafetta; il montra toujours une constance inébranlable au milieu de ses plus grandes adversités. En mer, il se condamnait lui-même à de plus grandes privations que le reste de son équipage. Versé plus qu'aucun autre dans la connaissance des cartes nautiques, il possédait parfaitement l'art de la navigation, ainsi qu'il l'a prouvé en faisant le tour du monde, ce qu'aucun n'avait osé avant lui. » L'éloge funèbre de Pigafetta, pour être un peu hyperbolique, n'en est pas moins vrai dans le fond. Il fallut à Magellan une constance, une persévérance singulière pour s'enfoncer, au mépris de la terreur de ses compagnons, dans des régions où l'esprit superstitieux de l'époque imaginait des dangers fantastiques. Il lui fallut, pour arriver à découvrir, à l'extrémité de cette longue côte, le détroit qui porte si justement son nom, une science nautique singulière. Il dut avoir une attention de tous les intants pour éviter dans ces parages inconnus, et sans instruments de précision, tout accident fâcheux. Si l'un de ses navires se perdit, on le doit imputer à l'orgueil, à l'esprit de révolte du capitaine, bien plutôt qu'à l'impéritie et au manque de précaution du général. Ajoutons, avec notre enthousiaste conteur: « La gloire de Magellan survivra à sa mort. » Duarte Barbosa, beau-frère de Magellan, et Juan Serrano furent élus commandants par les Espagnols, que d'autres catastrophes allaient atteindre. L'esclave qui jusqu'alors avait servi d'interprète avait été légèrement blessé pendant le combat. Depuis la mort de son maître, il se tenait à l'écart, ne rendant plus aucun service aux Espagnols, et restait étendu sur sa natte. A la suite de quelques représentations un peu vives de Barbosa, lui faisant observer qu'il n'était pas devenu libre par la mort de Magellan, il disparut tout à coup. Il alla trouver le roi nouvellement baptisé, auquel il exposa que, s'il pouvait attirer les Espagnols dans quelque piège et les y faire périr, il se rendrait ainsi maître de toutes leurs provisions et marchandises. Convoqués à une assemblée solennelle pour recevoir les présents que le roi de Zébu destinait à l'empereur, Serrano, Barbosa et vingt-sept Espagnols, assaillis à l'improviste pendant un festin, furent tous massacrés.
Seul Serrano fut amené lié sur le bord de la mer. Là, il supplia ses compagnons de vouloir bien le racheter, sans quoi il allait être massacré. Mais Jean Carvalho et les autres, craignant que le soulèvement ne devînt général, redoutant d'être attaqués pendant les négociations par une flotte nombreuse à laquelle ils n'eussent pas été en état de résister, n'écoutèrent pas les supplications de l'infortuné Serrano. Ils mirent à la voile et gagnèrent l'île peu éloignée de Bohol.
Là, considérant que leur nombre se trouvait alors trop réduit pour gouverner trois vaisseaux, les Espagnols brûlèrent la Conception, après avoir transbordé sur les autres navires tout ce que celle-ci portait de précieux.
Puis, après avoir côtoyé l'île de Panilongon, ils s'arrêtèrent à Butuan,qui fait partie de Mindanao, île magnifique, aux ports nombreux et aux rivières poissonneuses, au nord-ouest de laquelle gît l'île de Luçon, la plus considérable de l'archipel. Ils touchèrent encore à Paloan, où ils trouvèrent, pour s'approvisionner, des cochons, des chèvres, des poules, des bananes de diverses espèces, des noix de coco, des cannes à sucre et du riz.
Ce fut pour eux, suivant l'expression de Pigafetta, une terre promise. Au nombre des choses qui lui parurent dignes de remarque. le voyageur italien cite les coqs que les indigènes entretiennent pour le combat; passion qui, depuis tant d'années, est encore vivace dans tout l'archipel des Philippines.
De Paloan, les Espagnols gagnèrent ensuite l'île de Bornéo, centre de la civilisation malaise. Dès lors, ils n'ont plus affaire à des populations misérables, mais à des peuples riches qui les reçoivent avec magnificence. Leur réception par le rajah est assez curieuse pour que nous en disions quelques mots. Au débarcadère,ils trouvèrent deux éléphants couverts de soie qui les amenèrent à la maison du gouverneur de la ville, tandis que douze hommes portaient les cadeaux qu'ils devaient offrir au rajah. De la maison du gouverneur où ils couchèrent, jusqu'au palais du roi, les rues étaient gardées par des hommes armés. Après être descendus de leurs éléphants, ils furent admis dans une salle remplie de courtisans. Au bout de celle-ci s'ouvrait un autre salon moins grand, tapissé de draps d'or, dans lequel se tenaient trois cents hommes de la garde du roi, armés de poignards. A travers une porte, ils purent alors apercevoir le rajah, assis devant une table, avec un petit enfant mâchant du bétel. Derrière lui il n'y avait que des femmes. Le cérémonial exigeait que leur requête passât successivement par la bouche de trois seigneurs plus élevés en grade les uns que les autres, avant d'être transmise, au moyen d'une sarbacane placée dans un trou de la muraille, à l'un des principaux officiers, qui la soumettrait au roi.
Il y eut alors un échange de présents à la suite duquel les ambassadeurs espagnols furent ramenés à leurs vaisseaux avec le même cérémonial qu'à l'arrivée. La capitale est bâtie sur pilotis, dans la mer même; aussi, lorsque la marée monte, les femmes qui vendent les denrées traversent-elles la ville dans des barques.
Le 29 juillet, plus de cent pirogues entouraient les deux vaisseaux, en même temps que des jonques levaient l'ancre pour se rapprocher d'eux. Craignant d'être attaqués par trahison, les Espagnols prirent les devants et firent une décharge d'artillerie qui tua beaucoup de monde sur les pirogues. Après quoi, le roi leur fit des excuses en disant que sa flotte n'était pas dirigée contre eux, mais bien contre les gentils, avec lesquels les musulmans avaient des combats journaliers. Cette île produit l'arak, alcool de riz, le camphre, la cannelle, le gingembre, des oranges, des citrons, cannes à sucre, melons, radis, oignons, etc. Ses objets d'échange sont le cuivre, le vif-argent, le cinabre, le verre, les draps de laine et les toiles et surtout le fer et les lunettes sans parler de la porcelaine et des diamants, dont quelques-uns sont d'une grosseur et d'une valeur extraordinaires. Ses animaux sont les éléphants, les chevaux, les buffles, les cochons, les chèvres et les oiseaux de bassecour. La monnaie dont on se sert est de bronze et porte le nom de sapèque, piécettes que l'on perfore pour les emiler.

En quittant Bornéo, les voyageurs cherchèrent un endroit propice pour radouber leurs vaisseaux, qui en avaient le plus pressant besoin, car ils ne passèrent pas moins de quarante-deux jours à cette besogne. « Ce que j'ai trouvé de plus étrange dans cette île, raconte Pigafetta, ce sont des arbres dont les feuilles qui tombent sont animées. Ces feuilles ressemblent à celles du mûrier, si ce n'est qu'elles sont moins longues; leur pétiole est court et pointu, et, près du pétiole, d'un côté et de l'autre, elles ont deux pieds.
Si on les touche, elles s'échappent; mais elles ne rendent point de sang quand on les écrase. J'en ai gardé une dans une boîte pendant neuf jours: quand j'ouvrais la boîte, la feuille s'y promenait tout alentour; j'estime qu'elles vivent d'air. » Ces très-curieux animaux sont aujourd'hui bien connus et portent le nonr vulgaire de mouches-feuille. Ils sont d'un gris brun qui les fait d'autant mieux prendre pour des feuilles mortes qu'ils en ont tout à fait la forme. Dans ces parages, l'expédition espagnole: qui avait conservé du vivant de Magellan son caractère scientifique, tourna sensiblement à la piraterie. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises, on s'empara de jonques dont on força l'équipage à payer de fortes rançons.
On passa ensuite par l'archipel des Soulou, repaire de forbans malais, qui vient d'être seulement dans ces derniers temps soumis aux armes espagnoles, puis par Mindanao, qu'on avait déjà visité, car on savait que les Moluques si ardemment cherchées devaient se trouver dans un voisinage plus ou moins immédiat. Enfin, après avoir vu nombre d'îles, dont la nomenclature ne nous apprendrait pas grand'chosé, le mercredi 6 novembre, les Espagnols découvrirent cet archipel sur lequel les Portugais avaient débité tant de fables effrayantes et ils débarquèrent deux jours plus tard à Tidor. Le but du voyage était atteint. Le roi vint à la rencontre des Espagnols et les fit entrer dans sa pirogue. « Il était assis sous un parasol de soie qui le couvrait entièrement. Devant lui se tenaient un de ses fils qui portait le sceptre royal, deux hommes ayant chacun un vase d'or plein d'eau pour laver ses mains et deux tenant de petits coffrets dorés remplis de bétel. » Puis, on le fit monter sur les bâtiments, où l'on se montra pour lui rempli d'égards; en même temps on le chargeait, ainsi que lès personnages qui l'accompagnaient, de présents qui leur parurent très-précieux. « Ce roi est - maure, c'est-à-dire arabe, assure Pigafetta; il est âgé d'à peu près quarante-cinq ans, assez bien fait et d'une belle physionomie. Ses vêtements consistaient en une chemise très-fine, dont les manches étaient brodées en or; une draperie lui descendait de la ceinture jusqu'aux pieds; un voile de soie, — sans doute un turban, —couvrait sa tête, et sur ce voile il y avait une guirlande de fleurs. Son nom est rajah-sultan Manzor.» Le lendemain, dans une longue entrevue qu'il eut avec les Espagnols, Manzor déclara son intention de se mettre lui-même, avec ses îles de Tidor et de Ternate, sous la protection du roi d'Espagne.
C'est ici le .lieu de donner avec Pigafetta, dont nous suivons la relation pas à pas dans la version qu'a donnée M. Ed. Charton et qu'il a accompagnée de notes si précieuses, quelques détails sur l'archipel des Moluques. Cet archipel se compose à proprement parler des îles Gilolo, Ternate, Tidor, Mornay Batchian et Misai; mais on a souvent compris sous le nom général de Moluques, les groupes de Banda et d'Amboine.
Bouleversé autrefois par des commotions volcaniques répétées, cet archipel renferme un grand nombre de volcans presque tous éteints ou endormis depuis une longue suite d'années. L'air y est brûlant et serait presque impossible à respirer, si des pluies fréquentes ne venaient constamment rafraîchir l'atmosphère. Ses productions naturelles sont extrêmement précieuses. Il faut placer au premier rang le sagoutier, dont la moelle, appelée sagou, remplace avec l'igname les céréales dans toute la Malaisie. Une fois que l'arbre est abattu, on en extrait la moelle qui est alors râpée, passée au tamis, puis découpée en forme de petits pains qu'on fait sécher à l'ombre. Ce sont aussi le mûrier à étoffe, le giroflier, le muscadier, le camphrier, le poivrier et généralement tous les arbres à épices ainsi que tous les fruits des tropiques. Ses forêts renferment des bois précieux, l'ébène, le bois de fer, le tek, célèbre par sa solidité, et employé de toute antiquité pour les constructions luxueuses; le laurier calilaban, qui donne une huile essentielle aromatique très-recherchée. Acette époque, les animaux domestiques n'étaient qu'en petit nombre aux Moluques, mais, parmi les bêtes sauvages les plus curieuses, on comptait le babiroussa, énorme sanglier aux longues défenses recourbées; l'opossum, espèce de sarigue un peu plus grande que notre écureuil; le phalanger, marsupiau qui vit dans les forêts épaisses et sombres, où il se nourrit de feuilles et de fruits; le tarsier, sorte de gerboise, petit animal fort gracieux, inoffensif, au pelage roussâtre, dont la taille n'est guère plus grande que celle d'un rat, mais dont le corps offre certains rapports avec celui du singe. Parmi les oiseaux, c'étaient les perroquets et les cacatoès, ces oiseaux de paradis, sur lesquels on débitait tant de fables et qu'on croyait jusqu'alors privés de jambes, les martins-pècheurs et les casoars, grands échassiers presque aussi gros que les autruches. Un Portugais du nom de Lorosa était depuis longtemps établi aux Moluques.
Les Espagnols lui firent tenir une lettre, dans l'espérance qu'il trahirait sa patrie pour s'attacher à l'Espagne. Ils obtinrent de lui les renseignements les plus curieux sur les expéditions que le roi de Portugal avait envoyées au cap de Bonne-Espérance, au Rio de la -Plata, et jusqu'aux Moluques; mais, par suite de diverses circonstances, ces dernières expéditions n'avaient pu avoir lieu. Luimême était dans cet archipel depuis seize ans, et les Portugais, installés depuis dix ans, gardaient sur ce fait le plus profond silence. Lorsqu'il vit les Espagnols faire leurs préparatifs de départ, Lorosa se rendit à bord avec sa femme et ses effets pour rentrer en Europe. Le 12 novembre furent débarquées toutes les marchandises destinées à faire l'échange, et qui provenaient pour la plupart de quatre jonques dont on s'était emparé à Bornéo. Certes, les Espagnols firent un commerce avantageux, mais cependant pas autant qu'il eût été possible, parce qu'ils étaient pressés de retourner en Espagne. Des embarcations de Giloloet de Bachian vinrent également trafiquer avec eux, et, peu de jours après, ils reçurent, du roi de Tidor; une provision considérable de clous de girofle. Ce roi les invita à un grand banquet qu'il avait coutume, disait-il, de donner lorsqu'on chargeait les premiers clous de girofle sur un navire ou sur une jonque. Mais les Espagnols, se rappelant ce qui leur était arrivé aux Philippines, refusèrent en faisant présenter des excuses et des compliments au roi. Lorsque leur chargement fut complet, ils mirent à la voile.
A peine la Trinidad eut-elle pris la mer qu'on s'aperçut qu'elle avait une voie d'eau considérable, et il fallut au plus vite regagner Tidor: Les habiles plongeurs que le roi mit à la disposition des Espagnols n'ayant pu parvenir à la découvrir, il fallut décharger en partie le navire pour faire la réparation nécessaire. Les matelots qui montaient la Victoria ne voulurent pas attendre leurs compagnons, et, comprenant très-bien que la Trinidad ne serait pas en état de rentrer en Espagne, Tétat-major décida qu'elle gagnerait le Darien, où sa précieuse cargaison serait déchargée et transportée, à travers l'isthme, jusqu'à l'Atlantique, où un bâtiment viendrait la prendre. Mais ce malheureux bâtiment, pas plus que ceux qui le montaient, ne devait rentrer en Espagne. Commandée par l'alguazil Gonçalo Gomez de Espinosa, qui avait pour pilote Juan de Carvalho, la Trinidad était en si mauvais état, qu'après avoir quitté Tidor, elle fut contrainte de relâcher à Ternate. dans le port de Talangomi. et l'équipage, composé de dix-sept hommes, fut immédiatement emprisonné par les Portugais. Aux réclamations d'Espinosa, on répondit en le menaçant de le pendre à une vergue, et le malheureux alguazil, après avoir été transféré à Cochin, fut envoyé à Lisbonne, où, pendant sept mois, il demeura enfermé dans la prison du

Limoeiro avec deux Espagnols, seuls restes de l'équipage de la Trinidad. Quant à la Victoria, richement chargée, elle quitta Tidorsous le commandement de Juan-Sébastien del Cano, qui, après avoir été simple pilote à bord d'un des navires de Magellan, avait pris le commandement de la Concepcion, le 27 avril 4521, et qui succéda à Juan Lopez de Carvalho, lorsque celui-ci fut démonté de son commandement par suite d'incapacité. Son équipage n'était composé que de cinquante- trois Européens et de treize Indiens. Cinquante-quatre Européens demeuraient à Tidor sur la Trinidad. Aprèsavôir passé au milieu des îles deCaioan, Laigoma, Sico, Giofi, Cafi, Laboan, Toliman, Bachian, Mata et Batutiga, la Victoria laissa à l'ouest cette dernière île, et, gouvernant dans l'ouest-sud-ouest, s'arrêta pendant la nuit à l'île Sula ou Xula. A dix lieues de là, les Espagnols mouillèrent à Bourou, la Boëro de Bougainville, où ils se ravitaillèrent. Ils s'arrêtèrent trente-cinq lieues plus loin, à Banda, où l'on trouve le macis et la noix muscade, puis à Solor,où l'on faisait un grand commerce de sandal blanc. Ils y passèrent quinze jours pour radouber leur bâtiment, qui avait beaucoup souffert, et y firent une ample provision de cire et de poivre; puis, ils relâchèrent à Timor, où ils ne purent se ravitailler qu'en retenant par trahison le chef d'un village, venu à bord avec son fils. Cette île était fréquentée par les jonques de Luçon et par les a praos» de Malacca et de Java, qui y faisaient grand commerce de sandal et de poivre.

Un peu plus loin, les Espagnols touchèrent à Java, où se pratiquaient, paraît-il, à cette époque, les suttiesen usage dans l'Inde jusqu'à ces derniers temps. Parmi les contes que rapporte sans y croire entièrement Pigafetta, il en est un des plus curieux. Il a trait à un oiseau gigantesque. l'Epyornis, dont a retrouvé, vers 1850. des ossements et des oeufs gigantesques à Madagascar. Cela prouve combien il faut être réservé avant de rejeter dans le domaine du merveilleux nombre de ces légendes qui paraissent fabuleuses, mais dont le point de départ est exact, a Au nord de Java Majeure, dit Pigafetta, dans le golfe de la Chine, il y a un très-grand arbre appelé campanganghi, où se perchent certains oiseaux dits garula, si grands et si forts qu'ils enlèvent un buffle et même un éléphant et le portent en volant à l'endroit de l'arbre appelé puzathaer. » Cette légende avait cours dès le neuvième siècle chez les Persans et les Arabes, et cet oiseau joue dans les contes de ces derniers un rôle merveilleux, sous le nom de rock. Il n'est donc pas étonnant que Pigafetta ait pu recueillir chez les Malais une tradition analogue.
Après avoir quitté Java Majeure, la Victoria doubla la presqu'île de Malacca, depuis une dizaine d'années déjà soumise au Portugal par le grand Albuquerque. Près de là se trouvent Siam et le Cambodge, puis Chiempa, où croît la rhubarbe. On trouve cette substance de la manière suivante: «Une compagnie de vingt à vingt-cinq hommes vont dans le bois, où ils passent la nuit sur les arbres pour se mettre en sûreté contre les lions, — notez qu'il n'y a pas de lions dans ces pays, — et les autres bêtes féroces, et en même temps pour mieux sentir l'odeur de la rhubarbe que le vent porte vers eux. Le matin, ils vont vers l'endroit d'où venait l'odeur et y cherchent la rhubarbe jusqu'à ce qu'ils la trouvent. La rhubarbe est le bois putréfié d'un gros arbre qui acquiert son odeur de sa putréfaction même; la meilleure partie de l'arbre est sa racine; cependant le tronc., qu'on appelle calama, a la même vertu médicinale. » Décidément, ce n'est pas chez Pigafetta qu'il faudra chercher nos connaissances botaniques; nous risquerions fort de nous tromper en prenant au sérieux les bourdes que lui racontait le Maure, auprès duquel il cherchait ses renseignements.

Et cependant, le voyageur lombard nous donne avec le plus grand sérieux du monde des détails fantastiques sur la Chine et tombe dans de lourdes erreurs, qu'avait évitées Duarte Barbosa, son contemporain. Grâce à ce dernier, nous savons que le commerce de l'anfian ou de l'opium existait dès cette époque. Une fois que la Victoria fut sortie des parages de Malacca, Sébastien del Cano eut bien soin d'éviter la côte de Zanguebar, où les Portugais étaient établis depuis le commencement du siècle. Il fit route en pleine mer jusque par 42° de latitude sud et dut pendant neuf semaines tenir les voiles serrées en vue de ce cap, à cause des vents d'ouest et de nord-ouest qui finirent par une horrible tempête. Pour tenir cette route, il fallut au capitaine une grande persévérance et non moins d'envie d'amener à bonne fin son entreprise.
Le navire avait plusieurs voies d'eau, et nombre de matelots réclamaient une relâche à Mozambique, car, les viandes non salées s'étant corrompues, l'équipage n'avait plus pour boisson et pour nourriture que de l'eau et du riz. Enfin le 6 mai, le cap des Tempêtes fut doublé, et l'on put espérer la favorable issue du voyage. Cependant, bien des traverses attendaient encore les navigateurs. En deux mois, vingt et un hommes, tant Européens qu'Indiens, moururent de privations, et si, le 9 juillet, ils n'avaient pris terre à Santiago du cap Vert, ils seraient tous morts de faim. Comme cet archipel appartenait au Portugal, on eut soin de raconter qu'on venait d'Amérique, et l'on cacha soigneusement la route qu'on avait découverte.
Mais un des matelots ayant eu l'imprudence de dire que la Victoria était le seul des vaisseaux de l'escadre de Magellan qui revînt en Europe, les Portugais se saisirent aussitôt de l'équipage d'une chaloupe et se disposèrent à attaquer le navire espagnol.
Cependant, del Cano surveillait de son bord tous les mouvements des Portugais. Soupçonnant, parles préparatifs dont il était témoin, qu'on voulait se saisir de la Victoria, il fit mettre à la voile, laissant entre les mains des Portugais treize hommes de son équipage. 'Maximilien Transylvain attribue à la relâche aux îles du cap Vert un autre motif que Pigafetta. Il prétend que la fatigue des équipages, réduits par les privations et qui malgré tout n'avaient cessé de se tenir aux pompes, avait déterminé le capitaine à s'arrêter pour acheter quelques esclaves qui les aidassent à la manoeuvre. N'ayant pas d'argent, les Espagnols auraient payé avec des épices, ce qui aurait ouvert les yeux aux Portugais. « Pour voir si nos journaux étaient bien tenus, raconte Pigafetta, nous fîmes demander à terre quel jour de la semaine c'était.
On répondit que c'était jeudi, ce qui nous surprit, parce que, suivant nos journaux, nous n'étions qu'au mercredi. Nous ne pouvions nous persuader de nous être trompés d'un jour; j'en fus  moi-même plus étonné que les autres, parce qu'ayant toujours été assez bien portant pour tenir mon journal, j'avais, sans interruption, marqué les jours de la semaine et les quantièmes du mois. Nous apprîmes ensuite qu'il n'y avait point d'erreur dans notre calcul, parce qu'ayant toujours voyagé vers l'ouest, en suivant le cours du soleil, et étant revenus au même point, nous devions avoir gagné vingt-quatre heures sur ceux qui étaient restés en place; et il ne faut qu'y réfléchir pour en être convaincu. » Sébastien del Cano gagna ensuite rapidement la côte d'Afrique et entra, le 6 septembre, dans la. baie de San-Lucar de Barrameda, avec un équipage de dix-sept personnes, presque toutes malades.

Deux jours après, il jetait l'ancre devant le môle de Séville, après avoir accompli en entier le tour du monde. Dès son arrivée, Sébastien del Cano se rendit à Valladolid, où était la cour, et reçut de Charles-Quint l'accueil que méritaient tant de traverses courageusement surmontées. Le hardi marin, avec une pension de cinq cents ducats, eut la permission de prendre des armoiries représentant un globe avec cette devise: Primus circumdedistime. Le riche chargement de la Victoria décida l'empereur à expédier une seconde flotte aux Moluques. Cependant, le commandement suprême n'en fut pas donné à Sébastien del Cano; il fut réservé au commandeur Garcia de Loaisa, qui n'avait d'autre titre que son grand nom. Toutefois, après la mort du chef de l'expédition, arrivée dès que la flotte eut franchi le détroit de Magellan, del Cano se trouva investi du commandement, mais il ne le conserva pas longtemps, car il mourut six jours après. Quant au navire la Victoria, il fut longtemps conservé dans le port de Séville, et, malgré tous les soins dont il fut entouré, il finit par périr de vétusté.  (...)
Verne, Jules (1828-1905). Les Grands voyages et les grands voyageurs.
 Découverte de la terre, [1re-2e parties] par Jules Verne...
 Dessins par L. Benett et P. Philippoteaux... Facsimilé
d'après les documents anciens et cartes par Dubail et Matthis. 1878.


 Verne, Jules (1828-1905). Les Grands voyages et les grands voyageurs.
 Découverte de la terre, [1re-2e parties] par Jules Verne...
 Dessins par L. Benett et P. Philippoteaux... Facsimilé
d'après les documents anciens et cartes par Dubail et Matthis. 1878.







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